Richard Stallman et la révolution du logiciel libre - Une biographie autorisée
Avant-propos à l’édition française de Sam Williams
2009-11-25 / 2009-12-22


Sept ans après avoir mis la dernière touche à la première édition de Free as in Freedom, voilà que je me trouve dans la même situation en écrivant la préface à cette première version française du livre.
Avec deux dates butoirs qui me guettent depuis le calendrier et une masse impressionnante de brouillons qui emplissent mon disque dur, c’est un véritable combat que d’arriver à aligner des phrases correctes en anglais, et plus encore en français.
Je n’écris pas ceci pour attirer la sympathie ou implorer un quelconque pardon, mais pour souligner mon extrême gratitude envers l’association Framasoft qui a pris sur elle de traduire cet ouvrage (y compris cette préface) et permet ainsi à d’autres de pouvoir contribuer à son amélioration. Si l’expérience de l’écriture d’un livre m’a bien appris une chose, c’est que l’aide généreuse de centaines de collaborateurs atténue largement la faiblesse d’un auteur.
J’en avais eu l’intuition avant même de commencer l’écriture de Free as in Freedom. Ayant étudié l’histoire de l’open source et des logiciels libres avant de me mettre à la tâche, j’avais déjà engrangé un grand nombre de critiques constructives au moment où la version papier du livre commençait à faire son apparition dans les librairies. De plus, je savais que Richard Stallman allait relever chaque inexactitude dès qu’il aurait en main sa première copie. L’une des principales raisons pour laquelle j’ai voulu mettre ce livre sous licence GNU FDL1 était mon envie de pouvoir y revenir pour le corriger, voire l’améliorer, sans pour autant devoir le faire par l’intermédiaire d’une maison d’édition.
J’avais bien sûr d’autres raisons de choisir la GNU FDL. Comme je le dis dans l’épilogue intitulé « Écrasante solitude », l’ouvrage a été conçu dès le départ comme un livre électronique. Or, avant même que nous sachions à quoi il allait être utilisé, le matériel issu des nombreuses entrevues avec Richard M. Stallman devait selon moi être exploité en suivant un pré-requis éthique qui revenait à trouver une licence qui donnerait aux lecteurs des libertés au moins égales à celles dont jouissent déjà les lecteurs traditionnels – à savoir la liberté de partager et de copier, la liberté de lire dans l’environnement de son choix, la liberté d’en revendre des copies. Après avoir épuisé les premières tentatives de bricolage d’une telle licence, j’ai choisi la GNU FDL pour la bonne raison que Stallman avait participé à son écriture, et que je savais que l’ensemble de la communauté des hackers aurait approuvé cette décision.
En fait, il me semble me souvenir que Stallman lui-même se demandait si le choix la GNU FDL n’était pas excessif sachant que l’objectif principal de cette licence est d’encourager la collaboration pour l’amélioration des manuels utilisateurs des logiciels, un sous-genre d’œuvre non romanesque où l’utilité de l’information et la réciprocité sociale prennent le pas sur la reconnaissance de « l’auteur unique ».
Malgré tout, Tim O’Reilly, l’homme dont la société a finalement décidé de publier le livre, n’a même pas tiqué sur la demande de cette licence (en tout cas, pas d’après mon agent, Henning Guttman, chargé des négociations). Après avoir publié quelques livres sous GNU FDL, O’Reilly s’y connaissait mieux que Richard et moi-même sur la meilleure façon d’en assurer la commercialisation. Une fois de plus, un bon écrivain travaille rarement seul.
Nous étions en 2001-2002, alors que Wikipédia commençait à voir le jour. Toutefois, nous étions encore dans la période qui précédait sa soudaine apparition sur le Web, telle le volcan du Paricutín. D’après moi, ce projet en ligne a fait à ce jour la meilleure démonstration de l’étonnante puissance de la GNU FDL. J’aimerais pouvoir dire que je partageais à l’époque la même vision que le créateur de Wikipédia, Jimmy Wales, qui considérait la GNU FDL comme un catalyseur de liberté de parole sur Internet. Mais en vérité, comme de nombreux autres observateurs de l’époque, je dédaignais Wikipédia, n’y voyant qu’un futur gigantesque fiasco. Bien qu’ayant trouvé dans le modèle de publication wiki un étonnant prolongement technique de l’éthique « hacker », j’étais dubitatif quant à son extensibilité et sa cohérence, sans parler des risques de plagiat et de diffamation. Tout ceci m’a finalement incité à me détourner du modèle de Wikipédia lors de la création de mon site personnel, faifzilla.org, qui allait me servir à gérer l’évolution des textes constituant Free as in Freedom.
En fait, au moment de choisir la GNU FDL, c’est l’exemple de Linus Torvalds qui me servit de modèle. Tout en énonçant une série de raisons égoïstes et d’autres pas si égoïstes que cela, ce hacker finlandais a choisi de mettre sa création, Linux, sous la protection juridique de la GNU GPL. Un choix paradoxal, peut-être, mais que j’estime être en harmonie avec les grands thèmes de ce livre.
Égoïstement, je voulais que me revienne tout bénéfice du livre en termes de crédibilité ou de renommée. Et pas si égoïstement que cela, je voulais laisser la liberté à d’autres, y compris Stallman, de créer leurs propres versions parallèles, même si nos points de vue pouvaient diverger. Enfin, je souhaitais que ce travail soit adaptable. Dans l’épilogue, je cite le projet Xanadu de Ted Nelson comme un élément capital à cet égard. Je croyais alors et continue de croire à la nature talmudique d’Internet, c’est-à-dire que sa capacité non seulement à rapporter la naissance des idées mais aussi à garder les traces de leurs évolutions intellectuelles, est sa marque de fabrique. Je n’ai pas beaucoup entendu parler de Xanadu depuis que j’ai écrit ces lignes, mais je pense que les phénomènes « Web 2.0 » et « blog » sont des exemples suffisants pour cette partie du livre.
Malheureusement, je ne suis pas Linus Torvalds. Tout comme le sujet de cette biographie, ma personnalité est solitaire, quoi que je fasse pour lutter contre cela. Je n’ai pas de difficulté à travailler avec d’autres personnes, mais mon fonctionnement de base est de tout regrouper au même endroit et de me casser la tête sur un problème jusqu’à ce que ce problème (ou ma tête) s’avoue vaincu(e). Il m’est aussi arrivé d’être particulièrement conservateur quant à l’adoption de nouvelles technologies. En gérant faifzilla.org, j’étais devenu quelque peu expert en feuilles de style, en systèmes de gestion de versions et en logiciels de création de pages web. Mais en fin de journée, ma réponse instinctive à un rapport d’erreur était de faire les modifications directement dans le code source HTML puis de mettre à jour une demi-douzaine de fois la page afin d’éliminer les nouvelles erreurs que j’avais peut-être moi-même induites. Ajoutez à cela la principale pathologie de tout journaliste – l’incapacité totale à finir quelque chose sans une date butoir ferme ou une menace de non-paiement – et vous êtes sûr qu’il va y avoir de la bagarre.
Même si je reste fier d’honorer mon engagement à intégrer les corrections et des modifications de mes lecteurs, l’élaboration d’une version améliorée 2.0 de Free as in Freedom, avec un chapitre sur les derniers rebondissements de la saga Stallman, et qui aurait tenu compte de ses propres corrections et commentaires, a été stoppée vers mi-2003. Tout comme un charpentier qui laisserait sa maison tomber en ruine, j’ai laissé le livre passer du statut d’investissement à long terme à celui d’un projet de vacances toujours remis à plus tard.
Arrive alors Framasoft, une association qui, en plus de publier le livre, a accepté de mettre en place et d’héberger une version wiki des textes (http://framabook.org/faif). Christophe Masutti, le membre du groupe qui a pris le temps de me retrouver et d’attendre patiemment ma réponse, m’a de plus informé que Framasoft avait été jusqu’à travailler avec Richard Stallman pour inclure ses propres changements au texte original du livre, effort auquel je souscris complètement même si cela éclipse mes vains efforts à faire exactement la même chose.
Ma suspicion initiale à propos de Wikipédia ayant depuis longtemps fait place à une jalousie aiguë, je me sens un peu comme le personnage de George Bailey dans la scène finale de It’s a Wonderful Life. Je ne sais pas trop ce que j’ai fait pour mériter tant de générosité. Peut-être qu’ils étaient vrais, après tout, ces discours de la fin des années 1990 qui parlaient d’économie de partage, de karma en ligne et d’informations qui souhaitaient juste être vraiment libres. Si l’on revient sur la difficile dernière décennie, il y a eu des moments ou j’ai méjugé de tout cela avec la désespérante naïveté d’un gamin.
Quoi qu’il en soit, assez parlé de moi. Le temps est venu de focaliser notre attention sur le véritable sujet, la vie et l’œuvre de Richard M. Stallman, hacker émérite. Je voudrais terminer cette préface de la version française du livre de la même façon dont j’ai fini la préface de la version anglaise : avec une invitation ouverte à toutes et à tous, contributeurs potentiels. Si vous découvrez une erreur ou un passage qui nécessite un remaniement, n’hésitez pas à corriger et à ajouter votre nom à la longue liste des co-auteurs. La seule différence, cette fois-ci, c’est que vous n’aurez pas à faire les modifications en passant par moi.
Sam Williams
Staten Island, USA


1. Voir le site gnu.org (http://www.gnu.org/licenses/licenses.fr.html) – NdT.



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