p.1La description des différents mouvements et usages qui entourent les licences libres laisse
entrevoir une certaine complexité néanmoins facile à relativiser grâce à quelques bons repères simplifiant la compréhension des différentes licences
libres.
p.2Le nombre de licences libres a plus que décuplé en une décennie. Cette multiplication s’explique
essentiellement par le succès du Libre et par sa structure décentralisée. En dépit de l’autorité de certains organismes (notamment l’OSI et la FSF, mais aussi la Commission européenne ou les centres
de recherche à leurs niveaux respectifs) plusieurs facteurs favorisent cet accroissement :
– |
un facteur personne lié à l’arrivée de nouveaux acteurs : en premier lieu l’industrie et ses atteintes particulières en
termes de sécurité juridique et, en second lieu, les administrations et leurs contraintes particulières) ;
|
– |
un facteur temps : les licences étant basées sur un système en constante évolution, elles évoluent ou se créent pour ajuster
leurs effets ;
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– |
un facteur lieu : certaines législations peuvent imposer des contraintes absentes dans d’autres régions. Toutes les combiner
dans une seule licence peut s’avérer très difficile, voire impossible ;
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– |
et enfin, un facteur périmétrique lié à l’extension du Libre à d’autres domaines, pour lesquels des problématiques différentes
peuvent induire la rédaction de nouvelles licences.
|
p.3Le mouvement connaît cependant actuellement un succès et une professionnalisation qui induisent une
structuration du cadre juridique basé sur les licences. L’OSI définit par exemple une hiérarchie entre les licences alors qu’une initiative comme le
projet Harmony rédige des
Copyright Assignment « standards ».
p.4Trois éléments sont donc nécessaires pour pouvoir se repérer au sein de la « jungle » des
licences libres : une qualification juridique des licences (2.1), une classification des licences (2.2) et un déchiffrement au moyen d’une grille de lecture dédiée aux licences (2.3).
2.1 Qualifier juridiquement les licences libres
p.5Un contrat exprime la volonté des parties et tient lieu de loi des
parties dès lors qu’il ne porte pas atteinte aux bonnes mœurs ou à l’ordre public.
2.1.1 Un engagement juridique
p.6Il convient d’analyser le type d’engagement juridique (2.1.1.1), l’impact des éléments liés au
caractère international des licences (2.1.1.2) ainsi que la validité des exclusions de garantie et de responsabilité (2.1.1.3).
2.1.1.1 Le type d’engagement juridique
p.7 En l’absence de contestation sur les droits et devoirs de chacun, tout se passe généralement pour
le mieux. En cas de discorde, le conciliateur, le juge ou l’arbitre, chercheront à déterminer la relation (exprimée ou non) qui lie les parties et à en retirer la dimension juridique afin de leur
imposer les effets attendus. La qualification juridique de l’engagement est donc un passage obligé, mais encore faut-il rappeler aux juristes qui se pencheront sur cette question (juges, avocats,
juristes d’entreprise, etc.) que cet exercice ne peut être mené sans intégrer le contexte particulier (communautaire et décentralisé, collaboratifs et évolutif, etc.) qui caractérise le Libre :
une simple application des règles juridiques traditionnelles aboutissant à des réponses soit inadaptées soit contraires à la volonté des parties (voir à l’intérêt général).
p.8 Ce sont en l’occurrence les licences libres qui représentent l’essentiel de l’engagement,
exprimant en termes de droits et d’obligations les engagements souscrits par chacune des parties dans le cadre du développement collaboratif d’une création (et reprenant très souvent les engagements
souscrits préalablement par l’une d’elles). Ainsi, si l’auteur, ou ses héritiers, décide(nt) de revenir sur ce qu’il a pu promettre aux détenteurs d’une copie de l’œuvre ou créateurs d’œuvres
dérivées, ou si l’un de ces détenteurs en déduit des libertés supplémentaires, la licence leur sera opposable. Afin que personne ne puisse prétendre ignorer ces dernières, les licences libres
accompagnent quasi systématiquement la mise à disposition des créations originales ou dérivées (en favorisant ainsi la diffusion ultérieure).
La qualification juridique
p.9 Les licences libres (ou open source) confèrent au licencié
des droits similaires à ceux des titulaires de droits initiaux (leur permettant notamment de copier, modifier et distribuer librement la création), de façon à favoriser l’implication de ces derniers
dans l’œuvre commune. Il s’agit donc de contrats gratuits opérant une cession, non exclusive très large, posant éventuellement quelques problématiques au regard des droits moraux, et qui sont
qualifiés de licenses dans les régimes anglo-saxons.
Un contrat
p.10 En usant d’une licence libre le titulaire va céder certains de ses droits aux utilisateurs de
la création, à la condition pour ceux-ci de respecter le cadre défini par la licence. En cas de non-respect, ou si l’utilisateur ne souhaite pas y consentir, on retombe dans la contrefaçon
classique.
p.11 Ainsi, les licences sont bien des contrats synallagmatiques, c’est-à-dire des conventions par
lesquelles les parties s’obligent réciproquement l’une vers l’autre. Plus précisément, les
licences open source sont des contrats (ou offres, le contrat étant formé dès acceptation par le licencié) gracieux de cessions non exclusives de droit de propriété intellectuelle consentis pour le monde entier, pour toute la durée des droits, pour
tous les usages et sur tout type de support.
p.12 En termes de schémas contractuels attachés à des créations composées de multiples contributions
deux modèles existent : soit la licence autorise les sous-licences et il n’y a dans la relation finale qu’un seul contrat entre le licencié et le concédant (ce dernier cédant simultanément les
droits des auteurs des contributions antérieures), soit ce n’est pas le cas et il y a alors autant de contrats qu’il y a de titulaire de droit (chaque contrat portant néanmoins sur une contribution
déterminée).
p.13 Enfin, une même personne sera liée, en amont et en aval, à plusieurs personnes différentes
(l’auteur de la création initiale d’une part et les utilisateurs de l’œuvre dérivée d’autre part) par la même licence (notamment lorsque celle-ci est copyleft).
L’instrumentum (le contrat qui exprime les engagements) est bien le même, mais les deux relations sont indépendantes : ainsi l’utilisateur ne pourra pas
reprocher le non-respect des obligations de la licence, pas plus que l’auteur d’une contribution ne pourra reprocher ce même non-respect vis-à-vis d’une contribution dont il n’est pas l’auteur ou le
cessionnaire. Ainsi, dans l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 16 septembre 2009 (SA EDU4 c/ Association AFPA) le contrat n’est pas annulé pour non-respect de la licence, mais pour non-respect des
autres obligations contractuelles prises au surplus par la société.
Un contrat conclu à titre gratuit
p.14Aucun prix ne conditionnant le bénéfice des licences, celles-ci sont des contrats gratuits qui
offrent notamment aux licenciés le droit de distribuer la création comme ils l’entendent, commercialement ou non. La mise à disposition (acte matériel) de la création soumise à la licence peut ainsi
parfaitement être payante – et, de fait, beaucoup d’entreprises « vendent du Libre » – tant que la licence est par ailleurs respectée (certaines vont en effet immédiatement,
automatiquement et gratuitement étendre leur bénéfice aux nouveaux utilisateurs). Une œuvre dont l’accès est gratuit n’est pas forcément libre et réciproquement.
p.15Contrairement à une confusion fréquente, due à la traduction du terme
free, la distribution d’un logiciel libre, ou tout acte de mise à disposition, n’est donc pas nécessairement gratuite («
libre ne veut pas dire gratuit ») alors que la licence est elle-même gratuite. Sa violation reste néanmoins constitutive d’un préjudice. Source fréquente de confusion, de nombreuses licences le stipulent expressément, à l’instar de l’
AFL, l’
OSL, la
CDDL, la
Common Public License et de bien
d’autres.
p.16 Même si la solution était depuis longtemps acquise, la loi DADVSI a ajouté l’article L122-7-1
au CPI qui précise que « [l’]auteur est libre de mettre ses œuvres gratuitement à la disposition du public, sous réserve des droits des éventuels coauteurs et de ceux des tiers ainsi que dans le
respect des conventions qu’il a conclues. »
La cession de droits
p.17La doctrine juridique se divise sur le sujet, une partie considérant que la cession de droits de
propriété intellectuelle pouvait être exclusive ou non exclusive, une autre partie estimant qu’une cession était nécessairement exclusive, contrairement à la concession qui était non exclusive. Plus
simple et parfaitement adaptée à l’idée d’une propriété immatérielle différente c’est la première conception qui est retenue dans cet ouvrage. Celle-ci est par ailleurs naturellement non exclusive.
p.18La cession d’un droit est l’élément essentiel au fonctionnement des licences libres : en
l’absence de droits que le concédant « partagerait », les licenciés n’auraient aucun intérêt à accepter de quelconques engagements pour l’utilisation de créations gratuitement
accessibles.
p.19Si toutes les licences récemment mises à jour répondent au formalisme légal, il n’en était pas toujours ainsi, certaines licences contenant parfois des cessions implicites à la valeur très contestable.
Les atteintes potentielles au droit moral
p.20
p.21La liberté de ne pas partager est aussi importante que celle de partager… Cette idée est souvent
rappelée en réaction aux licences copyleft qui soumettent les licenciés ayant fait acte créatif sur la base de l’œuvre initiale à diffuser l’œuvre dérivée sous
une licence précise.
p.22Il est en effet incontestable que chacun doit pouvoir choisir l’exploitation souhaitée pour sa
création et, en fonction, être libre d’opter pour une licence libre ou non. Une telle clause pourrait être perçue comme une atteinte au droit (de divulgation, ou de destination si la création est
publique) de l’auteur de la création dérivée. Mais la réalité est plus simple : le licencié conserve toujours la liberté soit de respecter la licence, et donc de diffuser l’œuvre dérivée ainsi
qu’il lui est demandé, soit de renoncer à distribuer cette dernière en l’état, quitte à distribuer ses propres contributions, à part, sous une autre licence.
p.23Le droit au respect de l’intégrité de l’œuvre pourrait aussi être évoqué, fidèlement au principe
classique selon lequel seules seraient valides les ratifications et approbations données en pleine connaissance de cause à postériori. Il semblerait néanmoins qu’il soit possible d’interpréter
différemment cette contrainte lors de la modification de créations sous licences libres. Ce serait en effet ignorer l’aspect fondamental du Libre, les œuvres étant imaginées comme collaboratives et
évolutives. À l’inverse, une diffusion propriétaire de celles-ci pourrait valablement être considérée comme contraire au respect des droits moraux de l’auteur.
Pour aller plus loin...
– |
l’article de Jurispedia consacré aux licences libres (http://fr.jurispedia.org/index.php/Licence_libre) ;
|
– |
Jocquel (Grégoire), « Licence GPLv3 et aspects de droit privé », EOLE 2008.
|
La notion de
license
p.24Il existe outre-Atlantique un débat relatif à la qualification de license (engagements de détenteurs de droits soumis à un régime fédéral dans le cadre des lois sur le copyright) préférée à celle de contract (convention similaire à notre notion française, soumise au régime général des contrats américains). La license américaine
n’est pas l’équivalente de la licence que nous connaissons : sorte de convention unilatérale par laquelle, plutôt que de conférer des droits aux utilisateurs, l’auteur s’engage à ne pas les leur
opposer. L’analogie est souvent faite avec une permission générale qui serait donnée de traverser un jardin à certaines conditions, par exemple celle de porter un chapeau : nous y verrions un
contrat, les Américains une licence. Les conséquences pratiques sont de plusieurs ordres, notamment quant à la juridiction compétente et la réparation attachée à leur violation : interdiction
d’exploiter ou exécution forcée en cas de licences, simple dédommagement en cas de contrat.
p.25 Néanmoins, même si certains auteurs américains contestent la qualification de contrat aux
licences libres et que certaines d’entre elles refusent expressément l’appellation de
contrat, cette question suscite à priori peu d’intérêt dans notre système qui n’y voit
qu’une cession gracieuse et non exclusive de droits de propriété intellectuelle. Par ailleurs, il semble difficilement défendable de nier l’existence d’un contrat lorsqu’un certain nombre de
comportements est attendu des licenciés.
p.26 L’affaire Jacobsen v. Katzner, qui s’est étendue de 2008 à 2010, a permis de porter l’attention sur ces enjeux. Les apports des juges furent très intéressants puisque la cour d’appel
estima que le non-respect de la licence (Artistic License) n’entraînait pas seulement des sanctions contractuelles (qui auraient seulement entraîné l’allocation de dommages et intérêts), mais aussi
des sanctions pour violation de la licence. Décision spécifique à l’Artistic License, l’arrêt établit par ailleurs les critères permettant de distinguer les obligations (contractuelles) des conditions (rattachées au bénéfice de la licence) qui sont attachées aux cessions de droits.
Les parties aux contrats
p.27La question est ici généralement celle de l’opposabilité du contrat : conformément à
l’effet relatif des contrats, seules les parties qui se sont engagées doivent répondre de leurs obligations. Les licences libres posent par ailleurs deux questions particulières : l’impact dans
les grands groupes ou institutions, et l’impact de la chaîne contractuelle.
L’engagement des grands groupes par les licences libres
p.28Il s’agit ici des grands groupes industriels, mais aussi des centres de recherche, universités,
etc., c’est-à-dire le type de structure au sein de laquelle la personnalité juridique est plus large et le pouvoir d’engagement détenu à un plus haut niveau.
p.29Les licences raisonnent, tels des contrats, à l’échelle des personnes (physiques ou morales) qui
cèdent ou bénéficient de cette cession. Si l’enjeu est minime dans le cadre de la simple utilisation personnelle d’un logiciel libre par un collaborateur, il devient beaucoup plus important lorsque
la licence est utilisée pour partager des droits détenus par l’entité utilisatrice dudit logiciel. C’est par exemple le cas lorsque la personne morale est titulaire de droit en vertu de la dévolution
automatique des droits d’une œuvre collective (création logicielle salariale) ou encore d’une cession expresse. Or les créations sous licences libres sont souvent utilisées ou intégrées par des
individus qui ne possèdent pas la capacité d’engager leur structure, ce qui oblige à trouver plusieurs palliatifs comme : la mise en place d’un processus qui permette d’obtenir les validations
nécessaires ; la mise en place d’une délégation de pouvoir permettant à certaines personnes dans certaines conditions d’engager la société par une licence libre ; ou la renonciation à la
dévolution automatique des droits dans certaines circonstances et au profit de certaines personnes. La première solution est la moins risquée, mais aussi la plus lourde administrativement (songeons
que seul le doyen peut consentir un tel engagement dans le cadre d’une université). La seconde présente les risques inhérents à toute délégation, notamment du fait d’un portefeuille de brevets qui
pourraient se trouver affaiblis par ignorance de ces derniers. La dernière peut résoudre certaines difficultés, mais réduit les droits de la structure et n’est pas adaptée à toutes les solutions,
notamment lorsqu’il y a ensuite une diffusion desdites créations.
p.30En matière de groupe de sociétés, la
FAQ de la GNU GPL renvoie à la loi applicable en indiquant que la loi américaine ne semble pas considérer qu’il y ait dans ce cas de distribution. En
droit français la notion d’entreprise, dépassant les clivages de simples sociétés, permettrait sans doute d’arriver à la même conclusion. Néanmoins, il est fréquent que ces grands groupes fusionnent,
intègrent des sociétés, s’en séparent ou fassent appel à des filiales. Il est alors nécessaire de veiller à ce que les licences soient respectées lorsque des créations sous licences libres circulent
entre plusieurs personnes juridiques (entre une société mère et ses filiales, mais aussi en cas de rachat de l’activité d’une société par une autre, etc.). En effet, la situation juridique de ces
dernières peut engendrer l’application des licences sans qu’il n’y ait d’acte matériel supplémentaire (sauf à s’assurer que seule la personne juridique initiale conserve lesdites créations), si
l’élément déclencheur peut rétroactivement être considéré comme atteint.
La question de la chaîne contractuelle
p.31La notion de chaîne contractuelle s’est développée avec l’industrialisation et la multiplication
des intermédiaires. Il s’agit d’une succession de contrats reliés par une identité d’objet et relatifs à un même bien. La chaîne est dite homogène lorsqu’elle est constituée d’une suite de contrats
qui ont une qualification identique. On parle par ailleurs de groupe de contrats lorsque les contrats qui se succèdent ne portent pas sur le même objet, mais concourent à un même but (ce qui peut
caractériser les créations pour lesquelles chaque contribution est cédée selon les mêmes termes).
p.32Elle permet, en présence de contrat translatif de propriété, tel que la vente, d’opposer des
clauses contractuelles qui suivent le bien transféré de manière accessoire (clause d’exclusion de garantie, clause compromissoire, etc.). En l’espèce, et en l’absence d’exclusivité des cessions, il
ne semble pas possible d’appliquer ces effets.
p.33 En matière de licence libre, soit le contrat de licence autorise le sous-licenciement, et dans ce cas le licencié cède les droits qui lui ont été cédés au surplus des droits
patrimoniaux sur ses contributions propres, soit le sous licenciement est interdit et le
licencié cède ses droits en son nom et agit au nom de chaque autre contributeur (mandat) ou grâce à la stipulation pour autrui pour les droits restants.
p.34 L’ajout d’une licence compatible est une autre situation qui peut aussi compliquer la chaîne
contractuelle résultant de la création sous licence libre.
p.35 Ainsi, en plus de l’action qu’il pourrait souhaiter sur le fondement du contrat de mise à
disposition, le licencié pourra se retourner contractuellement sur le fondement de la licence : contre le concédant seulement dans le cas d’une licence basée sur le sous-licenciement (à sa
charge de se retourner ensuite contre ses propres concédants) ; contre chaque contributeur pour sa seule contribution si la licence n’autorise pas le sous-licenciement. Les deux options
présentent néanmoins chacune des avantages et des inconvénients. La chaîne contractuelle peut par exemple remettre en question le bénéfice de la licence si l’un des maillons se retrouvait
défaillant.
L’objet du contrat
p.36Quelle que soit la licence, la création à laquelle elle est associée – ou, plus
précisément, les droits relatifs à cette création – constitue l’objet du contrat, qui peut pour partie être une œuvre, pour partie invention, etc. Au fur et à mesure que de nouveaux
contributeurs participeront à l’évolution de cette création, le statut de celle-ci sera de plus en plus tourné vers le public/ses utilisateurs, pour finir par être uniquement gouverné par la licence
libre (et sa finalité de rendre libres ses utilisateurs) lorsque leur nombre sera trop conséquent pour qu’ils puissent s’exprimer d’une seule voix. La création
deviendra ainsi un élément distinct, détaché de la personne de ses auteurs, et avec sa propre vie (et ses évolutions inattendues).
p.37C’est donc une logique véritablement inverse à la conception traditionnelle de ces droits selon
laquelle un rapport fort lie l’œuvre et son auteur. D’où le fait que l’obligation essentielle du contrat (on pourrait aussi parler de prestation caractéristique) porte sur celui qui cède les droits
(le donneur de licence), condition primordiale pour assurer l’objectif de liberté au profit des utilisateurs subséquents.
p.38Du fait de l’évolution de notre société vers l’immatérialisation, l’objet de droits devient de
plus en plus complexe, glissant du seul logiciel – en qualité d’œuvre – à tout type de créations, tant du domaine de la propriété littéraire et artistique (œuvres, interprétations, bases de
données, etc.) que de la propriété industrielle (brevets, topographies de semi-conducteurs, etc.).
2.1.1.2 Les éléments liés au caractère international des licences
p.39Il s’agit ici de la langue du contrat (2.1.1.2.a) et des notions de loi applicable et de
tribunaux compétents (2.1.1.2.b).
La langue du contrat
p.40 Les licences sont, dans leur très grande majorité, rédigées en langue anglaise. Pour contrôler
les risques d’erreurs les traductions des licences n’ont généralement aucune valeur contractuelle. C’est notamment la position vis-à-vis des licences GNU, même si, à l’inverse, d’autres licences
(LAL, CeCILL ou plus largement encore l’EUPL) confèrent expressément une valeur équivalente aux diverses versions. Quoi qu’il en soit, il est toujours utile de les associer lors de la distribution de
la création, leur faisant intégrer un tout qui, même expressément exclu de la relation contractuelle, sera connu des parties et du juge. Car si un titulaire de droits peut parfaitement choisir
d’utiliser la seule version traduite, il court le risque d’y glisser des erreurs voire, lorsque la licence est copyleft, de rendre cette version incompatible
avec la version originale.
p.41 Ainsi, l’usage de telle licence anglaise présente sur le plan civil un risque de vice du
consentement (sur le fondement de l’erreur le cocontractant pouvant prétendre n’avoir pu saisir les termes du contrat) ou, sur le plan pénal, une contravention en application de la loi Toubon relative à l’emploi de la langue française notamment dans le cadre des licences de logiciels et à l’égard des contrats à destination des consommateurs ou impliquant des
personnes publiques).
La loi applicable et la juridiction compétente
p.42En application de la convention de Rome sur la loi applicable aux obligations contractuelles (19
juin 1980) le juge doit se baser sur : le choix des parties (art. 3 ) ; à défaut, la loi du pays avec lequel le contrat présente les liens les plus étroits (art. 4) ; en
présence du consommateur (c’est-à-dire un étranger à l’activité professionnelle), la loi du pays de résidence de celui-ci (art. 5).
p.43La détermination se fera donc au cas par cas : conformément aux licences lorsqu’elles
précisent la loi applicable (certaines licences précisent celle-ci ou les règles relatives à sa détermination) ou, à défaut, conformément aux règles classiques.
2.1.1.3 L’exclusion de responsabilité et de garanties
p.44Par principe, les licences libres excluent toute responsabilité et il n’est d’ailleurs pas
certain que le droit de la consommation trouve à s’appliquer à défaut de déséquilibre entre les parties. Deux remarques néanmoins : cela est surtout vrai dans l’hypothèse où tant la licence que
la mise à disposition de la création se font à titre gracieux, ensuite, cette exclusion ne s’étend cependant pas à la responsabilité qui serait liée au propre fait de l’auteur (auteur d’une faute
lourde).
p.45En matière de garantie, la garantie d’éviction (être titulaire de droits sur les droits que l’on
cède) ne peut être exclue, d’autant que cette cession de droit est la cause de l’engagement du licencié. En revanche, les garanties légales (garantie légale de conformité, garantie légale des vices
cachés) ne s’appliquent pas automatiquement à la licence (en l’absence de vente), mais pourront éventuellement trouver à s’appliquer au contrat de mise à disposition (voire de développement
spécifique) susceptible de lier le licencié au concédant.
2.1.2 Une cession non exclusive de droits
p.46 La non-exclusivité des licences est à la base de leur fonctionnement. C’est aussi elle qui
permet de justifier les obligations, parfois excessivement contraignantes, à la charge du concédant. En effet, même lorsque celui-ci se voit contraint par une licence copyleft, il ne perd en aucun cas la possibilité d’exploiter différemment ses contributions à un autre moment, dans un autre cadre et à d’autres conditions (quitte à en
faire une version mise à jour entièrement propriétaire).
p.47 C’est grâce à ce mécanisme de cession non exclusive qu’il est souvent possible de multiplier
des situations d’exploitation complexes mêlant propriétaire et open source, ou composants open source sous licences à
priori incompatibles.
2.1.3 Quelques jugements
p.48Même s’il ne cesse d’augmenter, le faible nombre de décisions relatives aux licences libres ne
permet pas de considérer l’existence d’une vraie jurisprudence ou doctrine sur laquelle s’appuyer. Par ailleurs la plupart des jugements « traditionnels » antérieurs reposent sur un esprit tout à
fait différent ne sont guère adaptés aux nouvelles situations relatives aux logiciels libres.
p.49Néanmoins, il convient d’admettre que le mécanisme sur lequel reposent les licences renforce
leur respect. En effet, soit l’utilisateur reconnaît la validité de la licence et peut utiliser la création afférente, soit il conteste cette dernière et se retrouve en position de contrefacteur.
C’est la raison pour laquelle la plupart des décisions ou des litiges ne concernent pas l’application des licences (ceux-ci étant à leur très grande majorité réglés par le biais d’une
transaction), mais le respect d’autres règles de droits (telle que la contestation des
droits de propriété intellectuelle sur l’œuvre, la contestation de la sanction, la violation d’autres prérogatives patrimoniales ou extra-patrimoniales, etc.).
p.50L’Allemagne est ainsi à l’origine des décisions les plus importantes pour la GNU GPL et, par
extension, pour les autres licences libres : en référé en 2004 (Munich) contre Sitecom Deutschland, puis devant le tribunal de Francfort contre
D-Link Deutschland GmbH le 22 septembre 2006 et enfin devant le tribunal de Munich contre Skype en 2008. Les apports vont
de la reconnaissance de la GNU GPL comme un contrat valide jusqu’à la sanction du non-respect du formalisme qu’elle impose.
p.51Un grand nombre d’actions furent menées aux États-Unis sous l’impulsion de la SFLC, mais
l’affaire Jacobsen v. Katzer fut la plus riche puisqu’elle confirma, au regard du droit américain (et pour une licence en particulier) les sanctions attendues du non-respect d’une licence libre
(telles que l’exécution forcée des obligations du licencié ou l’interdiction d’exploitation de la création).
p.52Pour ce qui concerne la France, les quelques jugements relatifs à des litiges concernant des
logiciels intégrant (ou plus précisément, utilisant) des composants open source sont pauvres en apports. Tout au plus est-il rappelé que les droits relatifs à des logiciels sous licence libre appartenant à des tiers ne peuvent être
cédés (de façon exclusive) par le prestataire que si ce dernier est soumis à une obligation d’information et de conseil qui s’étend notamment à l’indication d’un tel usage, mais que la faute peut
être en partie imputée au client lui-même s’il ne pouvait ignorer l’existence de ces composants et de leur licence. Très intéressante en ce qu’elle entendait définir la notion de distribution au sein de la GNU GPL v. 2, l’affaire Free résulta, dans le courant de l’année 2011, en une transaction favorable aux attentes des titulaires de
droits.
p.53On retiendra enfin de l’arrêt américain Wallace v. International Business Machines Corp. et al.
de 2006, ainsi que de l’affaire Skype, que l’usage des licences libres n’est pas constitutif d’un comportement contraire aux lois antitrust. Le juge américain a au contraire affirmé que :
p.54La GPL encourage, plutôt que décourage, la libre concurrence et la distribution de systèmes
d’exploitation, desquels bénéficient directement les consommateurs. Ces bienfaits comprennent : des prix moins élevés, un meilleur accès et plus d’innovation.
p.55Fruits partiels des litiges liés à l’utilisation des licences Creative Commons, quelques
jugements évoquèrent expressément ces dernières :
– |
2006 : la District Court of Amsterdam a considéré que les termes des licences Creative Commons s’appliquaient automatiquement pour tout usage d’une œuvre sous
cette licence et qu’un professionnel aurait au moins dû cliquer sur le symbole et lire le texte de la licence ;
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– |
2006 : une cour espagnole a rejeté la demande de la principale société de perception et de redistribution des droits espagnole (SGAE) qui souhaitait collecter des
droits sur un bar qui ne passait que de la musique sous licence Creative Commons ;
|
– |
2007 : pour la diffusion sous licence Creative Commons -By de la photographie d’un mineur dans une campagne de publicité de Virgin Australie. Les parents ont finalement retiré leur plainte à l’encontre de Virgin pour utilisation d’une
photographie de leur enfant sans leur autorisation et le photographe retira la sienne qui reprochait à Creative Commons de ne pas suffisamment avertir des conséquences relatives à l’usage de ses
licences ;
|
– |
2010 : tribunal de Nivelles concernant le non-respect de la licence (Paternité et NC) ; condamnation pour contrefaçon ;
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– |
2011 : une cour d’Israël a retenu la contrefaçon pour l’utilisation de photographies tirées du site Flikr non conforme aux licences Creative Commons apposées sur
ces dernières ( http://cyberlaw.stanford.edu/node/6589).
|
2.2 Caractériser par une classification des licences libres
p.56De nombreux regroupements permettent de classifier les différentes licences libres. Les cumuler
et les croiser permet d’avoir une vision plus globale du système des licences libres. Il est ainsi possible de regrouper les licences en deux catégories, licences permissives et licences copyleft (2.2.1), en phase historique (2.2.2), par domaine d’application (2.2.3) ou encore en fonction des libertés qu’elles confèrent aux utilisateurs (2.2.4).
2.2.1 Classification classique : licence copyleft versus permissive
p.57L’utilisation du terme copyleft désigne des licences qui
rendent persistantes les libertés consenties en astreignant les utilisateurs subséquents à concéder systématiquement les mêmes libertés. Dans cette situation c’est l’intérêt de l’utilisateur final
qui prévaut sur la liberté de celui qui diffuse l’œuvre. Deux types de clauses traduisent cette mention :
– |
celles qui imposent l’utilisation d’une licence particulière (à l’instar de la GNU GPL, à son propre compte) ;
|
– |
celles qui obligent à conférer les mêmes libertés (comme le fait la Licence Art Libre (LAL) : les droits cédés devront se retrouver dans la licence finale, qu’il
s’agisse de la LAL ou de toute autre.
|
p.58Il en résulte une relation de confiance qui sécurise et favorise les collaborations entre
professionnels. Seule une cession non exclusive est requise juridiquement et les contributeurs restent donc titulaires de leurs droits. Ils conservent ainsi la liberté d’exploiter leur contribution
par ailleurs, que ce soit sous licence libre ou commerciale.
p.59À l’inverse, on parle de licence permissive lorsque
seules les obligations de celui qui reçoit l’œuvre doivent être transmises (ainsi en est-il notamment de la licence Apache), laissant le contributeur libre d’en ajouter d’autres lors du transfert aux
utilisateurs subséquents (y compris sous forme de licence commerciale.) Les licences les plus permissives (BSD, MIT, etc.) sont traditionnellement assimilées à des renonciations et le statut des
œuvres est proche de celui des œuvres tombées dans le domaine public puisqu’elles n’imposent en règle général que le respect de la paternité (avec les habituelles clauses d’exclusion ou limitation de
garanties et de responsabilité). Cette relative liberté les fait coexister sans anicroche puisqu’il est très simple pour ces licences d’être compatibles en perpétuant simplement les obligations
initiales. Elles peuvent néanmoins contenir des obligations qui les rendraient incompatibles avec certaines licences copyleft. Cette absence d’incompatibilité a pour effet une très grande diversité de licences, parfois très libertaires, sans formalisme poussé, leur usage est néanmoins généralement conditionné à l’ajout a minima d’une exclusion de garantie et de responsabilité pour l’inclusion
dans certaines distributions (notamment Debian).
Android et la licence Apache
p.60Comme la majorité des produits de la firme Google, Android est essentiellement distribué sous
licence Apache, à l’exception de certains composants bien isolés tel le noyau Linux. Certaines applications fournies avec le logiciel restent néanmoins propriétaires, telles Android Market ou Google
Maps.
p.61Récemment, il est apparu que la version 3 de l’OS, dédiée aux tablettes, ne serait pas
diffusée en open source (rien n’est dit quant à son portage sur les portables). Une situation critiquable lorsqu’on admet que certains contributeurs, personnes
physiques ou morales, ont pu créer de la valeur au profit de ce système alors même qu’ils ne l’auraient pas fait pour un système fermé classique.
Copyleft et autre terminologie
p.63Le terme copyleft, double jeu de mots copyleft/copyright et copy 'left', n’est pas le seul utilisé pour décrire ce type de clauses. On parle ainsi parfois de réciprocité, prophylaxie, ou, plus négativement, de viralité ou de contamination.
2.2.2 Classification historique
p.64Même si moins tranchée et plus personnelle, une représentation historique des licences permet un
second regroupement opportun.
p.65La première série de licences est dite philosophique.
Elle comprend les licences publiées par la Free Software Foundation ainsi que celles qui partagent leur esprit et leur philosophie.
p.66Les plus utilisées sont celles de la FSF. La première de la famille est la GNU General Public
License, publiée en 1989, modifiée en 1991 et 2007. Sa petite sœur est la GNU Library General Public License, renommée Lesser GPL, et leur cousine, à destination de la documentation, la GNU Free
Documentation Licence. Fin 2007, la GNU Affero GPL est la dernière des licences à s’être ajoutée à celles existantes (le projet de la Simpler FDL semble être figé).
p.67À l’origine, le langage de ces licences est très proche de celui des développeurs. Il est
empreint d’une intention forte et d’une portée parfois difficile à définir. La réécriture récente des licences ajoute néanmoins à cette famille de licences des versions beaucoup plus juridiques et
complexes. Elles s’opposent à toute réappropriation du code grâce à leur copyleft qui impose que tout logiciel dérivé, basé sur, ou constituant un tout avec le
logiciel, soit lui-même soumis à cette même licence. Les sociétés intéressées par l’alternative du libre hésitent souvent à recourir à l’utilisation de ces licences aux implications extensives et
parfois incertaines, mais les communautés y voient un gage de confiance.
p.68Une seconde série de licences, poussée par le monde académique/universitaire, accompagna la
diffusion des nombreux logiciels qui composent aujourd’hui l’infrastructure d’Internet. Par exemple, le système de nom de domaine BIND, le protocole TCP/IP et Sendmail sont tous des standards
de facto construits et diffusés sous licences permissives. On y retrouve l’idée d’un partage des connaissances sans
condition issue des universités américaines et elles sont le plus fréquemment formulées d’une façon courte et claire. Elles consistent généralement en l’énumération de la totalité des droits
conférés, une obligation de respecter la paternité de l’œuvre et une exclusion de responsabilité et de garantie. Un bon exemple est la licence BSD, pour Berkeley Software Distribution.
p.69Parallèlement, de nombreuses communautés s’étaient constituées autour de projets qui, pour
certains d’entre eux, finirent par se structurer au travers de leurs propres licences, dites communautaires. Très spécifiques puisqu’intimement liées à un
projet et son vécu, elles sont en principe peu juridiques et trop souvent susceptibles d’interprétations hasardeuses. Les deux plus symptomatiques sont la licence Artistic et la licence Apache (dans
sa première version). Elles sont essentiellement des licences permissives, mais leur spécificité (en matière de brevets ou clause de publicité) les rend difficiles, voire impossibles, à concilier
avec la plupart des licences copyleft.
p.70Concrétisation du mouvement open source, l’arrivée de
sociétés commerciales induisit la rédaction de licences industrielles adaptées aux
nouveaux modèles économiques qu’elles introduisirent. La licence la plus symptomatique est sans aucun doute la Mozilla Public License (MPL), rédigée par la firme Netscape pour la libération du code
de son navigateur. Mais d’autres existent sur le même modèle : l’EPL, la Nokia Public License, l’OSL, etc. Ces licences sont précises, très complètes, et ont une étendue circonscrite.
2.2.3 Classification par domaine
p.71Comme le laisse entrevoir cet ouvrage, les licences libres sont aujourd’hui utilisées dans de
nombreux domaines : les logiciels bien sûr, mais aussi les encyclopédies (on pense bien sûr à Wikipedia), les livres, la musique et bientôt tout type de création. La majeure partie des licences
libres trouve ainsi son fondement dans une application particulière pour un domaine artistique ou technique bien déterminé et il est généralement délicat, et déconseillé, de transposer dans un
nouveau domaine des licences pensées et rédigées dans un contexte particulier.
p.72Par exemple, le formalisme extrêmement contraignant de la GNU GPL n’est pas du tout adapté à la
musique : le texte entier de la licence doit être attaché, les sources doivent être simultanément fournies, etc. Inversement, des licences comme les Creative Commons ont été écrites pour la
musique, le film, les livres, etc., mais pas pour les logiciels ou les bases de données (de type OpenStreetMap). Ainsi, utiliser une licence Creative Commons pour un logiciel, par exemple une CC
By-SA (licence assez similaire à la GNU GPL),
n’est pas conseillé par Creative Commons puisque tous les aspects propres au
logiciel sont inexistants : la distribution du code source n’est pas envisagée, la dimension
liaison non plus, etc.
p.73Enfin, quelques licences, plutôt rares, ont été rédigées avec l’ambition de s’étendre à
l’ensemble des créations couvertes par le droit d’auteur, voire à toute la propriété littéraire et artistique : l’OSL et la LAL sont deux très bons exemples, même si l’une reste plus adaptée aux
logiciels et la seconde aux œuvres non logicielles.
p.74Il est néanmoins nécessaire dans certaines situations, notamment en présence d’œuvres dites
multimédias (regroupant différents types d’œuvres), de réfléchir à l’opportunité d’utiliser une licence pour le tout dans un objectif d’uniformisation ou de privilégier une approche modulaire en
utilisant une licence pour chaque type d’œuvre. Il n’y a encore une fois ni bonne ni de mauvaise réponse, tout dépend des circonstances. Les politiques complexes de licences sont par exemple
fréquentes en matière de jeux vidéo : moteur sous licence GNU GPL, textures, cartes et graphisme sous une licence non libre.
Exemple pratique
p.75La motivation du changement de licence de Wikipedia en 2009 est un bon exemple de l’inadéquation
des contraintes matérielles de la GFDL vis-à-vis des articles publiés sur l’encyclopédie en ligne. Toutes les licences de la famille GNU imposent en effet un formalisme assez lourd lors de
l’exploitation du contenu, de la création, soumis à cette licence. La GNU FDL imposait notamment 1) que la licence soit systématiquement recopiée au côté de la création (voir imprimée, selon le
nombre d’exemplaires tirés) ; et 2) un copyleft très fort (calqué sur celui de la GNU GPL).
p.76Ces conditions, dont le non-respect aurait normalement dû causer la résolution de la licence,
étaient ainsi très rarement respectées et diminuaient d’autant la capacité des auteurs à faire respecter d’autres points de leur licence. À titre d’exemple, l’ajout d’une Creative Commons CC By-SA
3.0 (avec une étendue plus raisonnable et qui impose seulement des mentions légales succinctes ainsi qu’un lien vers la licence) a eu pour effet de sécuriser la réutilisation du contenu de
Wikipedia.
2.2.4 Classification par libertés
p.77Sous la coprésidence de Valérie-Laure Bénabou et de Joëlle Farchy, la commission spécialisée du
CSPLA, portant sur la mise à disposition ouverte des œuvres de l’esprit, a publié en juin 2007 un rapport reprenant une distinction issue des travaux de thèse de Mélanie Clément Fontaine sur les
œuvres libres. On y retrouve cette classification entre libertés réellement
conférées :
– |
les licences qui offrent une liberté pérenne. Il s’agit des licences disposant d’un copyleft : l’œuvre et ses dérivées sont
libres et le resteront ;
|
– |
les licences qui offrent une liberté fragile. Il s’agit ici des licences permissives qui autorisent la propriétarisation par un tiers d’une œuvre dérivée : les
contributeurs acceptent que leurs contributions soient intégrées dans un produit commercial, et n’ont aucune garantie de bénéficier des contributions ultérieures ;
|
– |
les licences qui offrent une liberté asymétrique. Il s’agit ici des licences qui créent un déséquilibre au profit de celui qui a choisi initialement la licence. Il
s’agit par exemple des licences interdisant l’exploitation commerciale de l’œuvre (la CC By-NC ou, autrefois, l’Aladdin Free Public License en matière de logiciel) ou la modification de celle-ci (la CC By-ND).
|
2.3 Déchiffrer : une grille de lecture de licences libres
p.78Distinguer les licences les unes des autres est une première étape, nécessaire, mais non
suffisante pour en jouir entièrement. Encore faut-il en effet comprendre la structure commune à chacune d’entre elles.
p.79S’il était possible de construire une nouvelle analogie avec les recettes, le code source étant
très souvent comparé à celles-ci, il pourrait être dit qu’il est nécessaire d’apprendre et de maîtriser la recette originale avant de faire preuve d’imagination.
p.80La grille qui suit s’inspire d’un tel travail empirique basé sur l’étude de plusieurs dizaines
de licences libres et de leurs variantes. – étant entendu qu’une telle grille de lecture a pour objet d’être simplificatrice et qu’il n’est pas possible, pour qui veut comprendre les licences
libres, de s’épargner l’effort de les lire. De manière générale, les licences libres ont des effets différents selon que l’utilisation est destinée à l’usage privé du licencié (on parle de sphère privée) ou qu’elle dépasse cet usage
(ces limites étant différentes selon les licences). Conformément à la philosophie hacker, l’usage dans la sphère privée est entièrement libre et sans aucune
contrainte alors que l’usage du logiciel en dehors de celle-ci impose de respecter toutes les obligations de licences, voire d’étendre celle-ci à d’autres composants logiciels.
p.81Il est ainsi possible de décomposer une licence libre selon trois éléments :
– |
ses droits et obligations (2.3.1) – en matière de brevet, copyleft,
etc. ;
|
– |
son étendue (2.3.2) – les effets de la licence concernent-ils uniquement le code initial ou s’étendent-ils à d’autres codes
qui en dépendraient ? ;
|
– |
et son élément déclencheur (2.3.3) – action par laquelle le licencié se voit opposer des obligations supplémentaires,
généralement liées à l’implication d’utilisateurs tiers.
|
p.82Enfin, de plus en plus de licences intègrent en leur sein un mécanisme de compatibilité (2.3.4).
2.3.1 Les droits et obligations des licences libres
p.83Comme tout contrat, les licences libres sont des rapports de droits qui se composent de droits
et d’obligations, les droits venant accroître l’actif du licencié tandis que les obligations grèvent son passif.
p.84Droits et obligations sont autant d’éléments qui distinguent les licences les unes des autres–
selon leurs engagements vis-à-vis des brevets, signes distinctifs, DRM, etc. – ou les rapprochent – le minimum de liberté étant fixé par leur qualité de libre et/ou d’open source.
p.85S’il est très facile de percevoir les droits cédés par les licences libres grâce aux efforts
effectués par la rédaction de la Free Software Definition (
FSD) et de l’OSD (2.3.1.1), il n’existe aujourd’hui aucun
référentiel commun en matière d’obligations (2.3.1.2).
2.3.1.1 Des droits identiques
p.86Les droits sont harmonisés grâce aux définitions que sont l’Open Source Definition ou la Free
Software Definition précédemment présentées.
p.87Il est néanmoins possible que les licences contiennent des droits supplémentaires, par exemple
quant à l’usage du nom des auteurs ou du projet, le plus lourd des effets juridiques étant probablement l’autorisation de sous-licencier (là aussi, voir précédemment).
p.88Enfin, notons que tous les droits de propriété intellectuelle ne sont pas systématiquement
cédés. C’est le cas de la GNU GPL v. 2 qui ne partage que les prérogatives essentielles aux libertés offertes.
2.3.1.2 Des obligations variées
p.89Le corollaire de cette cession de droit est l’existence de multiples conditions et obligations
non négociables. Les personnes qui souhaitent bénéficier de la licence s’engagent ainsi à en respecter les contraintes : avec l’engagement automatique de la responsabilité de celles souhaitant
s’y soustraire.
p.90À ce stade, il est nécessaire de préciser que l’utilisateur d’un composant sous licence libre
sera lié contractuellement avec le ou les auteurs dudit composant, mais qu’il sera aussi lié avec les utilisateurs subséquents s’il contribue lui-même au composant, qu’il le fasse selon le même
contrat (mais sans nécessairement être soumis aux mêmes obligations) ou selon un autre (pour peu que la première licence le permette). L’absence de consensus en la matière nuit énormément aux
licences libres et tout le monde gagnerait à ce qu’un vocabulaire ou des définitions communes soient partagés. Les initiatives normatives ne répondent pas en effet à un autre besoin industriel qui
consiste en l’identification et en la classification des obligations des licences (principal élément différenciateur) et de leurs variantes (notamment lors de l’ajout de clauses d’exception ou
d’interprétation).
p.91C’est dans les obligations (en matière de paternité, de copyleft, brevets, etc.), et dans leurs différentes combinaisons, que se distinguent les licences libres. Il est possible de suivre la summa
division du Code civil qui distingue les obligations de faire (2.3.1.2.a), les obligations de ne pas faire (2.3.1.2.b) et les obligations de donner (2.3.1.2.c).
Les obligations de faire au sein des licences
p.92Les obligations de faire sont des obligations par lesquelles une des parties (le débiteur)
s’engage à accomplir certains actes en faveur de l’autre partie (le créancier). On peut donner comme exemples les obligations de délivrance (de remettre matériellement la chose) ou de renseignement
(devoir implicite d’informer l’autre partie des informations qu’elle détiendrait relatives au contrat).
p.93L’obligation de renseignement est particulière en matière de licence libre, compte tenu de
l’importance que peut revêtir l’usage de composants open source lors du transfert final de droit. À ce sujet, la cour d’appel de Paris avait donné raison à un
client public qui avait unilatéralement résolu le marché pour non-respect de ses engagements par son contractant qui lui avait caché l’utilisation de logiciels libres dans le cadre de ses
développements (de sorte que sa livraison n’était pas conforme à la mission qui lui avait été confiée). On retient surtout de cet arrêt une obligation de conseil renforcée à l’encontre du prestataire.
p.94Le copyleft est aussi l’une des obligations de faire à laquelle s’engage l’utilisateur : dans l’hypothèse où il modifierait et
redistribuerait sa version modifiée, il le ferait sous la même licence (voire une licence compatible). Il est tentant de voir ici une atteinte à ses droits d’auteurs, mais la réalité est plus simple : le licencié peut soit respecter la licence et donc diffuser son œuvre ainsi qu’il
lui est demandé, soit perdre sa qualité de licencié et renoncer à distribuer l’œuvre dérivée sans l’accord exprès de l’auteur de l’œuvre originaire.
p.95D’autres formalités se retrouvent fréquemment parmi les licences open source : l’obligation de distinguer ses propres contributions de celles des autres contributeurs, celle de tenir à jour un fichier récapitulatif des plaintes ou
revendications reçues par les licenciés et de le distribuer avec les sources. Plus
généralement, toutes les obligations relatives au formalisme qui accompagne l’utilisation de la licence sont des obligations de faire : donner accès aux sources dans certaines conditions,
mentionner l’auteur ou le logiciel dans certaines conditions, etc.
p.96Certains comportements peuvent aussi être dictés au licencié, comme les clauses aménageant la
juridiction compétente ou la loi applicable, qui peuvent être réajustées en faveur du
donneur de licence.
Les obligations de ne pas faire au sein des licences
p.97Celui qui s’engage à une obligation de ne pas faire s’abstient de faire quelque chose :
utiliser un signe particulier, revendiquer certains droits de propriété intellectuelle, agir en contrefaçon, etc.
p.98En supplément, quelques licences interdisent l’usage de certains mots, souvent dénués
d’originalité, et même déposés à titre de marque. S’il faut émettre des réserves sur cette pratique qui crée des exclusivités et peut être à la source d’atteintes importantes à la liberté de
l’utilisateur (notamment lorsque des clauses similaires se cumulent) une justification peut être avancée, consistant à dire que dans l’espace de promiscuité d’Internet la protection de certains
droits de propriété industrielle n’est pas adéquate du fait de leur application territoriale. Par exemple, en matière de marque, le donneur de licence est astreint à multiplier les dépôts (et donc
les coûts) s’il veut protéger sa marque, alors qu’interdire simplement l’utilisation de son nom à ses licenciés lui permet à moindre frais de se prévenir des confusions qu’engendrerait l’arrivée d’un
licencié concurrent exploitant un produit identique sous un nom similaire.
L’interdiction de l’usage commercial ou de la modification
p.99Certaines licences interdisent les usages commerciaux. Il s’agit en particulier des licences
Creative Commons avec la clause NC, mais on peut aussi citer l’ancienne Yello Open Music Licence ou, par certains usages seulement, la licence IANG. Réintroduire ce critère revient à un retour en
arrière. Au milieu des années 1990, en effet, il existait des licences comme l’
Aladdin Free Public License qui
interdisaient l’usage commercial et niaient le rôle que peut jouer l’usage commercial dans la reprise et la diffusion des créations, en particulier dans notre société capitaliste. D’ailleurs,
juridiquement, les choses hors commerce sont inaliénables (au contraire, ce qui circule
est dans le commerce).
p.100Une autre difficulté, majeure, naît de cette interdiction : l’appréciation du critère
commercial. Quelques interprétations, définitions ou FAQ, tentent d’aider à la compréhension de la notion, mais aucun consensus n’existe sur la portée précise des engagements (sachant qu’aucune
interprétation n’a de valeur contractuelle/contraignante puisque seule la licence est acceptée par les parties).
p.101Publiée en 2009, l’enquête
Defining Noncommercial menée par Creative Commons montre la difficulté qu’il y a à envisager une définition commune tant les conceptions
peuvent diverger. Néanmoins, la majorité des interviewés semble arriver à un accord relatif :
– |
l’utilisateur : doit être un particulier ou une personne morale non-commerçante (ou sans but lucratif dans le cas d’une association) ;
|
– |
la nature de l’utilisation : ne doit pas être commerciale (directement ou indirectement, comme dans le cas d’une publicité) ;
|
– |
condition d’utilisation : l’utilisateur ne doit pas gagner d’argent par un service qui soit en relation avec le contenu sous NC.
|
p.102Néanmoins, il n’existe pas de consensus en la matière et il semble ainsi préférable de
préciser soi-même ce que l’on entend autoriser en utilisant cette licence.
L’interdiction de la modification
p.103Toutes les licences Creative Commons contenant la clause ND, ou encore les licences dites
verbatim (copie et distribution conformes), interdisent à quiconque de modifier la création. La question est de savoir
quelle définition on doit choisir d’appliquer aux créations non logicielles, et si la possibilité de modifier est aussi inconditionnelle : la FSF estime généralement que seules les œuvres
utilitaires doivent être librement modifiables, non les œuvres d’
opinion.
p.104Néanmoins, souvent utilisées par défaut, sans réflexion de fond, ces licences traduisent une
peur des auteurs quant au partage de leurs œuvres – une peur d’autant moins compréhensible qu’ils partagent souvent naturellement en matière de logiciel. Les conséquences de ce choix de
conformité ne sont néanmoins pas neutres puisque l’œuvre est figée alors que :
– |
quelle que soit la licence utilisée, à aucun moment les licenciés ne se voient reconnaître une permission de détourner le discours de l’auteur original, de lui
attribuer de nouvelles paroles, voire plus généralement de lui porter préjudice. Un tel comportement serait punissable : sur le fondement de la responsabilité délictuelle, ou en vertu d’autres
dispositions, si opportunes (droit de la presse, droit de la personnalité, droit commun de la responsabilité, droit pénal, etc.).
|
– |
la différenciation entre œuvres techniques et œuvres d’opinion reviendrait à distinguer les œuvres où la personnalité de l’auteur (ses idées, convictions, son style,
etc.) apparaîtrait, et celles où cette personnalité ne serait pas perceptible. Cette distinction n’est pourtant pas défendable puisque, juridiquement, elle reviendrait à admettre que ce qui est
qualifié d’œuvre par la loi (car empreint de la personnalité de son auteur) ne serait pas sous licence libre, alors que seul ce qui n’y est pas soumis le serait.
Ce serait alors bafouer précisément le principe selon lequel les licences libres ne sont utiles qu’en cas de droits exclusifs, et qu’elles s’appuient alors sur ces
derniers pour inverser leur utilisation… Ainsi, il semble être plus pertinent d’appréhender l’œuvre comme un tout, véhiculant pêle-mêle idées, informations, connaissances, style de l’auteur,
etc.
Par la suite, toute œuvre aurait un versant utilitaire et un versant propre à son auteur, et l’équilibre entre ceux-ci présagerait d’une utilisation différente si
elle venait à être mise sous licence libre (plus de modification sur des œuvres essentiellement utilitaires, plus de citation concernant les œuvres d’opinion).
|
Les obligations de donner au sein des licences
p.105On parle d’obligations de donner lorsqu’il y a transfert d’un droit réel sur une chose
(droit permettant de tirer d’un bien tout ou partie de son utilité économique – les différents droits de propriété intellectuelle entrant dans cette catégorie de droits réels).
p.106Les licences ayant généralement pour objet tout ou partie des droits de propriété littéraire
et artistique ou de propriété industrielle, l’obligation concerne généralement ces derniers. Ainsi, la personne qui diffuse une création sous GNU GPL v. 3 s'oblige à une certaine cession de ses
droits d’auteur (ou assimilés), une licence en matière de brevet, etc.
Des licences qui ne sont pas entièrement impartiales…
p.107Généralement, les licences sont dites « génériques » et emportent les mêmes effets quel que
soit le contractant, néanmoins quelques unes différencient les obligations en fonction de la qualité des personnes potentiellement engagées (telle l’EUPL lorsque la Commission européenne est partie
au contrat) ou de leur rôle.
p.108Certains donneurs de licence ont ainsi choisi de se faire conférer des prérogatives
exorbitantes. C’est le cas de la licence NPL (licence calquée sur la MPL, à laquelle se rajoute une annexe conférant ces prérogatives supplémentaires), qui permet(tait) au donneur de licence de
réutiliser les contributions au sein d’une distribution propriétaire. La BIPL (Broad Institute Public License) en est un autre exemple, en imposant au licencié une licence sur leur brevet alors même
qu’elle ne leur en consent aucune.
p.109Ces pratiques sont néanmoins de plus en plus rares et les licences actuellement utilisées
n’en contiennent plus.
2.3.1.3 La sanction du non-respect des licences
p.110Les obligations des licences libres sont généralement des conditions résolutoires : la
licence contenant en effet un processus de terminaison automatique de la licence, immédiate ou différée, en cas de non-respect. Cette résiliation du contrat a pour effet d’interdire toute exploitation de la création concernée et de rendre l’ancien licencié susceptible de contrefaçon
pour toute exploitation postérieure. Au cours d’une action particulièrement violente, la SFLC avait par ailleurs plaidé qu’en cas de non-respect de la licence, celle-ci se terminait automatiquement
sans possibilité d’en bénéficier à nouveau, sauf à ce que l’auteur (ou la communauté d’auteurs) réintroduise la société dans ses droits.
p.111Cette sanction étant particulièrement sévère, surtout pour le secteur industriel qui peut
violer une licence par ignorance, un nombre croissant de licences atténue les effets d’un tel non-respect grâce à des mécanismes permettant au licencié de corriger son comportement voire d’être
automatiquement réintroduit dans ses droits à certaines conditions (tel l’article 8 de la GNU GPL v. 3 lorsqu’il s’agit d’une première violation et que celle-ci est rapidement corrigée). La FSF
s’est notamment appuyée sur cette faiblesse de la licence pour inciter les contributeurs à solliciter le passage de GNU Linux à la troisième version de la licence («
Android GPLv. 2 termination
worries : one more reason to upgrade to GPLv. 3 »).
2.3.2 L’étendue des licences libres
p.112L’étendue de la licence permet de déterminer contractuellement dans quelle mesure certaines
créations lui seront rattachées (comme le sont les œuvres dérivées ou composites du régime légal) et, dès lors, si elles sont combinées, subir les contraintes de la licence lors du
déclenchement de cette dernière. En cas de situation floue, imprécise ou ambiguë, le juge
recherchera la volonté des parties au moment de leur consentement au contrat. Pour cette raison, tout élément accompagnant la diffusion sous licence libre est bienvenu (FAQ, notice, etc.).
p.113Ainsi, deux techniques peuvent être utilisées conjointement aux fins de détermination des
créations soumises à l’étendue de la licence : un renvoi aux qualifications légales des œuvres dérivées et composites ou l’utilisation des contrats pour compléter ces
dernières ou s’y substituer (par exemple en stipulant que seules les œuvres dérivées sont soumises à l’application de la même licence).
p.114Cette étendue peut être unique et imposer que l’ensemble des obligations soient respectées
dans ses limites (induisant par exemple qu’un composant logiciel non séparé et indépendant soit soumis à la même licence) ou être multiple et distinguer en fonction des droits de propriété intellectuelle en question (la cession en matière de brevets pouvant par exemple être
moins étendue que la cession en matière de droit d’auteur). Enfin, l’impact est différent selon les obligations de la licence et il est fréquent que l’étendue de la licence soit modérée ou, au
contraire, maximisée, eu égard à certaines clauses (telle la clause copyleft).
p.115Différents types d’étendues peuvent être identifiées (2.3.2.1), mais leur appréciation
demande quelques précisions complémentaires dans le cadre d’œuvres logicielles (2.3.2.2).
2.3.2.1 Les différents types d’étendue
p.116On distingue généralement trois types d’étendue (étendue faible, standard et forte), mais il
est possible d’en caractériser quatre :
– |
l’étendue restreinte : seule la création originaire reste soumise aux obligations de la licence, tout ce qui est apporté à
cette dernière peut être diffusé sous d’autres termes (c’est ce que l’on retrouve généralement dans les licences dites permissives) ;
|
– |
l’étendue faible : la création originale et les modifications qui lui sont faites sont soumises à cette étendue, mais elle
peut se combiner avec d’autres créations sous d’autres licences ;
|
– |
l’étendue standard (ou légale) : l’appréciation de l’étendue conformément au droit
applicable, permettant généralement diverses liaisons entre plusieurs composants ;
|
– |
l’étendue forte : la création originale, ses modifications et toute autre création qui serait dépendante (donc liée)
seraient soumises à cette étendue.
|
L’étendue restreinte
p.117Cette étendue ne concerne en pratique que les licences permissives : seule la version
diffusée par l’auteur initial restera soumise à la licence d’origine, tandis que toute modification sera potentiellement, pour les éléments apportés, sous une autre licence.
p.118Plusieurs créations dotées d’une même étendue restreinte ne seront jamais susceptibles de
générer des situations d’incompatibilité. Cependant, toutes ces licences imposent néanmoins de respecter les obligations qui les caractérisent, ce qui peut générer des incompatibilités lorsqu’on
souhaite utiliser simultanément une autre licence (en présence de licences ayant une plus large étendue ou lorsqu’on souhaite associer une seule licence pour distribuer le tout).
L’étendue faible
p.119L’étendue est dite faible lorsqu’elle ne couvre qu’une partie de l’étendue des droits
classiquement reconnus aux titulaires de droits (droits d’auteur notamment). Il s’agit généralement des licences qui vont estimer que toute œuvre dérivée sera soumise à la licence d’origine, alors
qu’une œuvre composite pourra être soumise à d’autres licences tant que la licence d’origine est respectée à l’égard de l’œuvre d’origine (intouchée ou dérivée).
L’étendue standard
p.120Cette étendue désigne les licences dont il fut décidé de ne pas définir contractuellement
l’étendue, laissant libre cours à l’interprétation de la législation applicable – cette législation étant déterminée par contrat ou, à défaut, en application des règles de droit international
privé. Une telle étendue à l’avantage d’être éprouvée (appliquée systématiquement en cas de contentieux, la jurisprudence sur le sujet est large) et l’inconvénient d’être parfois moins adaptée à
l’objet de la licence.
p.121La licence Eclipse fait ainsi référence à la définition américaine de l’œuvre dérivée, sans
se prononcer sur l’étendue de celle-ci alors que l’EUPL précise que l’interprétation de la
notion d’œuvre dérivée dépendra de la loi applicable au contrat (celle-ci étant fixée comme étant « la loi de l’État membre de l’Union européenne où le donneur de licence réside ou a établi son
siège social » ou, à défaut la loi Belge). Enfin, l’Open Software License ne définit
pas la notion d’œuvre dérivée (derivative work), laissant aux juges le soin d’en interpréter la portée.
L’étendue forte
p.122L’étendue forte caractérise des licences qui développent une conception contractuelle
extensive de l’œuvre dérivée, entraînant un nombre plus important d’œuvres dépendantes de l’œuvre initiale.
p.123Il s’agit d’une potentielle expansion des droits de propriété intellectuelle qui s’explique
par la volonté d’empêcher globalement toute atteinte liée à la jouissance de l’œuvre. Ce mécanisme repose en effet sur un droit exclusif, qu’il étend par le biais du contrat : celui qui veut
utiliser l’œuvre consent à s’engager de la sorte. Sans porter de jugement de valeur sur ce type de clauses, très courantes, il convient de remarquer qu’elles se basent généralement sur des
considérations non juridiques (appréciant le logiciel en tant qu’outil) et peuvent générer quelques difficultés d’interprétation qui sont autant de sources d’insécurité juridique (d’autant que les
parties peuvent avoir une interprétation différente de celle du rédacteur de la licence).
p.124Cette étendue constitue enfin un paradoxe puisque l’application d’une telle conception par
l’industrie traditionnelle pourrait être très néfaste au logiciel libre.
2.3.2.2 L’étendue des licences en matière de créations logicielles
p.125Dans le domaine du logiciel, en raison du caractère hybride de son objet à la fois technique
et juridique, l’application de la typologie classique nécessite d’être précisée par des notions techniques (2.3.2.2.a) sans qu’elles ne suffisent à appréhender tous les types de relations
particulières pouvant exister entre plusieurs composants logiciels (2.3.2.2.b).
L’application de la typologie classique précisée par des notions techniques
p.126Dans le domaine des licences libres appliquées aux logiciels, on s’aperçoit que l’aspect
juridique est accessoire aux considérations techniques qui constituent le véritable enjeu des licences.
p.127Ainsi, la GNU General Public License raisonne à l’échelle du programme et s’étend au logiciel comme un tout, à l’exception des briques
logicielles indépendantes et séparées (sauf si elles-mêmes distribuées comme un tout avec le reste du logiciel). La GNU Lesser General Public License allège cette dernière en mettant en place un mécanisme autorisant les simples utilisations du
logiciel.
p.128Enfin, d’autres licences comme la CeCILL-C ou la Mozilla Public License (MPL) raisonnent à
l’échelle du fichier et demandent que tout fichier contenant du code sous l’une de ces licences soit aussi sous cette licence.
p.129Ainsi, en terme d’étendue :
– |
l’étendue restreinte des licences permissives de types BSD, MIT ou Apache ne posent pas plus de difficulté que des licences classiques : le code d’origine est
(et reste) soumis à la licence initiale, mais il est aussi possible de le redistribuer (modifié ou non) sous toute autre licence qui respecte ces obligations (mentions légales, licence de brevets,
etc.) ;
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l’étendue faible caractérise les licences modulaires de type CeCILL-C et la licence MPL qui limitent le copyleft aux seuls
fichiers contenant du code sous licence (chaque fichier demeurant ainsi sous une seule
licence), de type GNU LGPL qui permet certaines utilisations (le copyleft envisage toujours l’œuvre comme un tout et toute œuvre
dérivée doit être distribuée sous la même licence alors que l’œuvre composite est autorisée, que le lien soit statique ou dynamique, tant qu’il n’y a qu’utilisation du logiciel) ou de type EPL qui
permet certaines liaisons ;
|
– |
l’étendue standard pose plus de difficulté dans son interprétation : notamment quant à savoir si l’appréciation légale de l’œuvre dérivée couvre, ou non, les
liens dynamiques. Par exemple, l’avocat américain rédacteur de l’OSL, Lawrence Rosen, considère qu’un simple lien entre plusieurs logiciels ne peut en faire des œuvres dérivées en application de la
loi américaine.
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l’étendue forte qualifiera les licences :
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de type GNU GPL qui, en se basant essentiellement sur une
efficience technique de leur étendue, étende la licence au logiciel comme « un tout », dans sa globalité, tel qu’il apparaît à l’utilisateur. Sont
ainsi concernées les œuvres basées sur l’œuvre sous licence GNU GPL et les œuvres parties
d’un ensemble plus grand contenant l’œuvre sous GNU GPL. Ainsi, une œuvre considérée comme
indépendante et séparée ne sera pas soumise à la licence tant qu’elle restera distribuée comme une œuvre distincte (différenciant l’œuvre indépendante et séparée, distribuée séparément dans une visée
autre que d’être utilisée en combinaison avec le logiciel licencié, et la même œuvre distribuée cette fois-ci de façon à être combinée avec le logiciel licencié). Afin d’éviter des situations trop extrêmes où l’étendue de la licence engloberait le système d’exploitation ou des éléments
de ce dernier (les logiciels réutilisent en effet, pour leur quasi-totalité, des bibliothèques systèmes spécifiques à un environnement), la GNU GPL comporte une exception dédiée ;
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de type de la licence CeCILL qui différencie les « modules internes » (soumis à la licence) des « modules externes » (non
soumis) sur le fondement de l’espace d’adressage commun. Un module est interne s’il s’exécute dans le même espace d’adressage que le logiciel licencié et externe s’il s’exécute dans un autre espace
d’adressage (et est appelé lors de l’exécution du logiciel). Plus objective que la définition précédente, cette notion simplifie la détermination de l’œuvre dérivée.
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p.130On notera enfin que le rassemblement d’œuvres logicielles distinctes (mere aggregation) au sein d’une compilation (dans le cadre d’un CD, d’une distribution GNU/Linux ou d’une Framakey) est néanmoins permise dès lors que chaque composant
reste soumis à sa propre licence. Néanmoins, il est aussi possible d’apposer une licence sur la composition elle-même, le droit d’auteur protégeant une telle compilation dès lors qu’elle est
originale et reflète la personnalité de son auteur .
L’appréciation de l’étendue au sein des relations particulières susceptibles de rattacher plusieurs composants logiciels
p.131Les logiciels sont, dans des degrés différents, plus ou moins autonomes ou dépendants
d’autres logiciels. Ainsi, de multiples relations peuvent exister entre différents logiciels, aux effets variables.
Le cas des œuvres produites par un logiciel sous licence
copyleft
p.132Il est souvent demandé si l’œuvre issue d’un logiciel peut être qualifiée d’œuvre dérivée,
ou basée sur celui-ci. La réponse est heureusement négative par principe : l’œuvre est produite par la fonction programme, extérieure à la forme de celui-ci. Un bémol persiste cependant, puisque
certains programmes incluent une partie de leur code dans les œuvres qu’ils génèrent.
Celles-ci peuvent donc valablement être qualifiées d’œuvres dérivées et soumises en ce nom à la licence copyleft. La situation doit être nuancée en ce que ce
type de logiciels prévoient fréquemment une exception dans leur licence permettant à l’utilisateur de disposer « librement » de sa création. Néanmoins, d’autres utilisent ce copyleft « déloyal » afin de rendre attractive une licence commerciale par ailleurs proposée. Par exemple, lors d’une compilation par EiffelStudio, les binaires
contiennent du code soumis à la GNU GPL et doivent alors se conformer à la licence,
situation paradoxale où les binaires sont soumis à la licence pour un simple runtime en GNU GPL, alors que les fichiers sources seuls ne le seraient pas (car ne
contenant pas lesdits fichiers).
La liaison entre une bibliothèque et un autre logiciel
p.133Les bibliothèques logicielles se distinguent des logiciels programmes en ce qu’elles sont
utilisées par ces derniers pour leur fournir un code assistant. Plus généralement on peut classer dans cette catégorie tout logiciel qui n’aurait pas vocation à s’exécuter par lui-même, mais à être
utilisé par un autre. Si, dans le cas d’une liaison statique, la qualification d’« œuvre dérivée » ne fait pas de doute, la liaison dynamique ne doit pas recevoir
de réponse différente puisque ce choix technique est transparent pour l’utilisateur final (que le logiciel soit complété lors de la compilation ou au moment de son utilisation).
Le cas des plug-ins et drivers de périphériques
p.134Il semble qu’il faille ici transposer la démarche précédente puisqu’il s’agira le plus
souvent d’une liaison dynamique entre le plug-in et le logiciel. Les drivers sous GNU GPL
posent des questions plus simples puisque, lorsqu’ils communiquent avec des systèmes d’exploitation, ceux-ci bénéficient d’une exception expresse qui les dispense de la distribution du tout. À l’opposé, si c’est le système d’exploitation qui est sous GNU GPL, l’effet devrait être
contraire : d’où l’interprétation apportée par Linus Torvalds afin de réduire la portée du copyleft de son kernel. C’est pourquoi, dans le cas de
développement de logiciels en grappe – par l’accumulation de plug-ins –, il est conseillé d’utiliser une licence avec un copyleft standard, ou de rajouter une exception à un copyleft fort. Dans le cas contraire, la GNU GPL n’y verra pour sa part qu’une
seule œuvre, l’existence d’un module propre à un logiciel faisant quasi systématiquement supposer une intention de lier les deux en un tout. L’argument de Linus Torvalds qui consiste à prendre
uniquement en considération que l’intention des parties semble être la meilleure ligne de conduite, même si c’est la plus difficile à mettre en œuvre et si beaucoup de licenciés n’en ont pas conscience. Dans une telle hypothèse, c’est le juge qui tranchera en déduisant
l’intention du comportement (dans le cas du noyau Linux, une commande spécifique a été créée à cette fin).
L’héritage et le cas des classes dérivées, mères et filles (Java)
p.135La programmation avec le langage java organise une notion d’héritage (afin de spécialiser
une classe qui possédera non seulement les propriétés et méthodes de son unique mère, mais d’autres méthodes spécifiques ou redéfinies). Lorsqu’une classe est sous licence copyleft, toute sous-classe est une œuvre dérivée, soumise à l’obligation de
réciprocité. La justification découle en réalité des développements précédents puisque
l’utilisation de classes parentes (ou surclasses) et de sous-classes n’est qu’une utilisation optimale des liaisons entre programmes : par défaut, toutes les classes dérivées héritent de toutes
les méthodes et propriétés de ces super classes. On assiste ici à une ramification où
chaque nouvelle sous-classe ajoute de nouvelles fonctionnalités au tronc commun.
2.3.3 L’élément déclencheur des licences libres
p.136L’élément déclencheur est l’action par laquelle le logiciel sort de la « sphère
privée » de son utilisateur : en présence de nouveaux utilisateurs, il est nécessaire que ceux-ci disposent des droits que leur confère la licence (le premier n’étant par ailleurs plus un
« simple » utilisateur). Ce critère est extrêmement important puisque nombre de sociétés y ont adapté leur modèle économique de manière à bénéficier de logiciels libres avec le minimum de
contraintes ou pour proposer à leurs utilisateurs une licence commerciale lorsque la licence libre prend ses pleins effets.
p.137Les éléments déclencheurs les plus fréquents sont : la distribution (2.3.3.1),
l’utilisation (2.3.3.2) et le déploiement externe (2.3.3.3).
2.3.3.1 La distribution
p.138À l’origine seul et unique critère, la notion de distribution fut utilisée dès la première
GNU GPL et reprise dans toute la génération de licences qui s’en inspirèrent. Ainsi, celui qui modifie une création peut l’exploiter sans restriction jusqu’à ce qu’il décide de la distribuer. Dès
lors qu’il y a distribution, il lui faut veiller à avoir bien respecté l’ensemble des contraintes des licences (maintien – voire extension – des licences, apposition des mentions
obligatoires, etc.) .
p.139On considère classiquement que la distribution s’entend de la diffusion ou communication à
un tiers d’une copie du logiciel. Néanmoins, il existe différentes acceptions selon que l’on fait référence au droit américain, français ou européen. La notion américaine de distribution s’apparente à celle de mise sur le marché européenne, tandis que cette dernière induit le transfert d’une copie. C’est pour pallier aux difficultés
d’interprétation liées à la localisation du litige, des auteurs, etc. que la dernière version de la GNU GPL redéfinit les notions fondamentales de la licence (en l’occurrence au travers des termes
convey et propagage). Il est maintenant entendu que cet élément déclencheur n’appréhende pas l’usage ou l’offre de
services d’un logiciel par le réseau, ces derniers pouvant être réalisés sans contraintes particulières.
p.140Enfin, certains langages (notamment Ajax, Javascript, Flash, etc.) s’exécutent directement
dans le navigateur web de l’utilisateur et sont donc automatiquement distribués (mais pas nécessairement les parties restantes du logiciel installées sur le serveur et qui communiquent via le
réseau).
Les accords de non-divulgation
p.141Les licences peuvent parfaitement se conjuguer avec d’autres dispositifs contractuels. Par
exemple, l’auteur d’une contribution peut s’engager à ne pas publier ses modifications, ou à ne les proposer qu’à son client. La situation est courante et ne pose pas de problème tant que la licence
est respectée.
p.142En effet, ce n’est ici que la mise à disposition qui est altérée, et non la licence :
dans le premier cas, s’il n’y a pas de distribution, l’auteur n’a pas à subir les effets contraignants de la licence (par exemple mise sous une licence identique), tandis que dans le second cas,
l’auteur doit respecter la licence, et donc éventuellement livrer le logiciel sous licence libre – dans cette hypothèse, à un client unique. Ce client sera alors le seul à bénéficier du contrat
(licence libre ou commerciale) et il pourra interdire toute autre réutilisation à son prestataire. L’inverse n’est pas vrai, et un licencié qui chercherait à limiter contractuellement les droits de
son partenaire en opposition avec les libertés assurées par la licence serait en infraction avec cette dernière.
2.3.3.2 L’utilisation
p.144En réaction aux usages développés sans distribution (notamment l’utilisation des logiciels
en SaaS, c’est-à-dire comme un service – Software as a Service) certains souhaitèrent régler la question du déclenchement en fixant ce dernier très bas.
p.145Ainsi, quelques licences réduisent la sphère privée
de sorte que leurs obligations s’appliquent très tôt : la Repricocal Public License fixe le seuil à toute utilisation autre que pour sa recherche interne et/ou utilisation personnelle.
p.146Le palliatif était néanmoins non suffisant et d’autres éléments déclencheurs apparurent,
plus adaptés aux actions que les auteurs entendaient interdire.
2.3.3.3 Le déploiement externe
p.147Enfin, la dernière génération de licences a multiplié les recours à un nouvel élément
déclencheur inspiré de l’évolution d’Internet : l’Open Software License ou la GNU
Affero GPL imposent ainsi le respect de leurs obligations dès lors que le logiciel peut
être utilisé ou qu’il interagit avec des tiers, directement ou indirectement. Ces licences
viennent combler l’ASP Loophole (faille des logiciels libres utilisés en SaaS) en faisant en sorte que le licencié qui utilise un logiciel pour fournir un
service à des utilisateurs via le réseau ne puisse le faire sans avoir l’obligation de redistribuer les modifications qu’il aurait lui-même apportées à ce dernier.
p.148Lors de leur mise à jour, certaines licences troquèrent, ou ajoutèrent, cet élément
déclencheur au précédent (pour les plus récentes : l’EUPL v. 1.1 ou la MPL 2.0).
Bon à savoir
p.149La troisième version de la GNU GPL devait elle-même intégrer une telle modification (encore
prévue à l’article 7b.4 de son second brouillon), mais l’idée fut finalement retirée sous la pression extérieure. Un choix contesté, certains n’hésitant pas à dire que la «
GPL est la nouvelle BSD », voire à lui affubler l’appellation de «
SHING
GPL » (en référence à Sun HP IBM Nokia Google, principaux détracteurs et lobbyistes qui s’opposèrent à cette clause).
p.150Néanmoins, la solution alternative mise en place s’avère tout aussi bonne : les deux
licences peuvent cohabiter, étant expressément compatibles entre elles, mais, alors que chaque partie reste sous sa propre licence, l’élément déclencheur de la GNU Affero GPL s’étend au logiciel
comme un tout… Les rédacteurs des licences ont ainsi introduit un copyleft dans le copyleft et il y a fort à parier que cette conception sera le standard dans
quelques années, quelles qu’en soient les critiques.
p.151Voir à ce propos :
Jean (Benjamin), « Sortie de la
version 3 de la GNU General Public License », 2008 (sur
http://blog.vvlibri.org).
2.3.4 La compatibilité au sein des licences libres
p.152Notion particulièrement importante dans le domaine des licences libres, l’incompatibilité caractérise la situation ou deux licences imposent des obligations contradictoires dans l’usage des créations concernées (par exemple deux licences
copyleft qui imposent que le logiciel global soit diffusé sous une seule d’entre elles). Cette situation, inconnue dans le domaine traditionnel propriétaire qui, par principe, s’oppose à l’évolution de
l’œuvre, n’est en réalité que la rançon de la gloire. De nouveaux usages se créant il peut sembler logique qu’ils entraînent aussi certaines exigences de réflexions de la part des utilisateurs
– faible tribu donc, compte tenu de ce qui leur est offert…
p.153Les licences n’étant que des contrats, leurs effets sont dits relatifs (limités aux parties
du contrat : les auteurs qui cèdent sous licences libres et les utilisateurs) et il n’existe ainsi pas de licences qui seraient dominantes : toutes ont la même force obligatoire et le
licencié doit renoncer à exploiter une création lorsqu’il ne peut pas respecter l’ensemble de ses engagements.
p.154Malheureusement la multiplication des licences accroît cette problématique alors même qu’il
n’y a généralement que quelques obligations qui différencient les licences les unes des autres. Par ailleurs, puisqu’il est impossible pour quiconque de décider unilatéralement de l’abandon d’une licence au profit d’une nouvelle :
1. |
chaque nouvelle version de licence peut être considérée comme une nouvelle licence à part entière ;
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2. |
même si la plupart permettent une compatibilité ascendante au bénéfice des nouvelles versions de la licence, quelques licences autorisent expressément aux auteurs de
licences libres et open source de figer la licence à une version spécifique. Il y a alors un copyleft en deux temps : le premier caractérisant l’étendue de la
licence et le second déterminant la version sur chaque contribution. Cette situation crée donc une potentielle incompatibilité entre deux versions d’une
même licence.
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p.155Ainsi, si les licences libres et
open source tendent
à être génériques pour faciliter leur réutilisation, cela n’a malheureusement pas empêché l’apparition de nouvelles licences destinées à répondre à des situations particulières (communauté, domaine,
contributeurs types, langage, voire objet de la licence lorsqu’on dépasse la sphère du logiciel). Au final, plus de 1 800 licences sont ainsi recensées dans la seule base de code analysée par la
société Black Duck – un chiffre qu’il convient néanmoins de relativiser en raison du socle commun que constituent les licences certifiées par l’Open Source Initiative (voire moins d’une douzaine
d’entre elles). En terme d’utilisation des différentes licences, il est possible de se
référer au classement (en terme de couverture de code)
tenu à jour par la société Black Duck et à l’étude publiée par
OpenLogic. Le premier classement concerne la couverture de code : GNU GPL
v. 2 (42.77%), MIT (11.29%), licence Artistic (7.80%), GNU LGPL 2.1 (7.23%), BSD (6.79%), GNU GPL v. 3 (6.43%) et licence Apache v. 2 (5.41%) ; le second se focalise sur les
logiciels
open source les plus importants : la licence Apache passe en tête (32,7%) devant la GNU LGPL v. 2.1 (21%) et la GNU GPL v. 2
(14,4%).
p.156La rédaction de nouvelles licences renforce cette problématique (ceci même si elle prévoit
expressément la compatibilité avec d’autres licences) en plus d’être source
d’insécurité (par la réintroduction potentielle de failles réglées par d’autres licences, l’incapacité de la faire évoluer, etc.). Il est donc généralement plus simple (juridiquement, techniquement et en terme de communication) d’utiliser une licence connue
que l’on modifie par le biais d’une exception, dans le but de préciser des clauses floues ou pour ajouter des droits ou obligations.
p.157Pour prendre en compte ce phénomène, les licences ont été revues au moyen de clauses
actives qui permettent de licencier l’œuvre lors de sa redistribution sous une licence différente et de clauses passives qui, en cas de cumul avec certaines autres licences, limitent ou excluent une partie
de leurs obligations pour se rendre compatibles. Avec la croissance de l’usage de
l’open source, la maîtrise de cette notion est devenue cruciale : ce qui explique que de nouvelles formes de compatibilité (2.4.2.) se soient ajoutées à
celles existantes (2.4.1).
Compatibilité CC By SA / GNU FDL 1.3 / LAL 1.3
p.158Trois licences copyleft sont majoritairement
utilisées sur Internet pour tout ce qui n’est pas logiciel : la GNU FDL, la Creative Commons By-SA et la Licence Art Libre. Chacune étant d’origine différente, mais avec des caractéristiques
semblables s’il était pendant très longtemps impossible de mélanger du contenu sous une licence avec du contenu sous une autre licence. Cette contrainte a fait réagir leurs rédacteurs respectifs,
considérant que « le point important n’est pas les différences, mais au contraire le but commun. »
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Licence Art Libre : en 2007, une nouvelle version de la Licence Art Libre ouvre le chemin de la compatibilité en permettant de re licencier l’œuvre sous toutes
licences offrant les mêmes obligations et droits et assurant une compatibilité réciproque (voir l’article 5 « critères de compatibilité ») ;
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Creative Commons By-SA : peu de temps après, en février 2007, la troisième version de la Creative Commons CC By-SA intègre elle aussi une compatibilité pour
toute licence aux termes équivalents qui assurerait une réciprocité et qui est approuvée et listée sur le site de Creative Commons (aucune ne l’a été depuis) ;
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GNU FDL : le 3 novembre 2008, dans une version 1.3 de la GNU Free Documentation License (FDL), la FSF a répondu au souhait de Wikipedia de relicencier sous
CC By-SA (c’était une bonne chose, le formalisme de la GNU FDL étant trop contraignante pour ce type de contenu – et ainsi rarement respecté). Ceci malgré le profond désaccord de RMS.
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2.3.4.1 Les différents types de compatibilité
p.159La compatibilité peut ensuite être conditionnée à l’existence de certaines situations
d’incompatibilité (2.2.4.1.b) ou discrétionnaire, c’est-à-dire à la seule volonté de la personne qui redistribue la création (2.2.4.1.a).
La compatibilité discrétionnaire ou compatibilité non conditionnée
p.160Dans ce type de compatibilité, la licence précise que la création peut indifféremment être
redistribuée selon ses propres termes ou selon ceux d’une licence prédéterminée. Le choix est donc offert lors de la redistribution de la création soumise à la licence.
p.161La clause expresse de la GNU LGPL v. 2 traduit bien cette première hypothèse
puisqu’elle prévoit, en son troisième article, que le licencié peut choisir de lui
substituer les termes de la GNU GPL. Dans sa troisième version, le mécanisme est perfectionné puisque la GNU LGPL ne devient qu’une « exception » à la GNU GPL (pouvant, à ce titre, être
supprimé à tout moment).
La compatibilité conditionnée
p.162On parle de compatibilité conditionnée lorsque le mécanisme est limité aux seules situations
d’incompatibilité, c’est-à-dire quand l’ajout d’un composant sous une autre licence open source imposerait de redistribuer le tout sous cette unique autre
licence.
p.163Technique initialement mise en place par la licence CeCILL (au profit de la GNU GPL), elle
fut depuis réutilisée par d’autres licences (notamment l’EUPL qui utilise ce mécanisme au profit de cinq licences : l’OSL v. 2.1 et v. 3.0, la CPL v. 1.0, l’EPL v. 1.0, la
CeCILL v. 2.0 et la GNU GPL v. 2.0.).
2.3.4.2 Les nouvelles formes de compatibilité
p.164Après avoir été un frein majeur aux échanges entre projets libres durant de longues années,
le problème de l’incompatibilité entre licences semble se résorber progressivement grâce aux licences de nouvelles générations qui intègrent progressivement cette problématique en amont dans leur
rédaction (telles la GNU GPL v. 3, l’EUPL v. 1.1 ou la MPL 2).
p.165Néanmoins, les réponses qu’elles apportent sont généralement imparfaites du fait qu’elles
reposent sur une hiérarchie entre les licences. Or, il semble improbable que toutes licences conviennent un jour à un tel système féodal et il serait probablement plus simple que les licences (et
leurs rédacteurs) lèvent les situations conflictuelles en se reconnaissant comme égales (ou, pour le moins, alliées) et en ne cherchant plus à s’imposer aux autres ou à les influencer. Par exemple
– mais ces réflexions sont encore trop récentes – il pourrait être suggéré que les licences copyleft incluent systématiquement en leur sein un
mécanisme réduisant l’étendue de la licence lors d’une combinaison avec d’autres composants déjà diffusés sous une licence libres et open source (rien ne sert
de les rendre « plus libres », surtout compte tenu des problèmes d’incompatibilité) ou que la clause copyleft soit « mise en veille » en
présence de composants sous certaines autres licences (par ailleurs listées) qui reprendraient néanmoins des obligations semblables.
p.166Enfin, il est souvent préférable, lorsque l’opportunité existe, de résoudre ces situations
par des réflexions préalables en terme d’ajout de licences, de multilicences (licences multiples) ou encore d’exceptions hybrides du type « FOSS Exception ».
Comprendre les intentions des rédacteurs
p.167Les rédacteurs de licence ont généralement intérêt de s’assurer que leur licence se
substitue à d’autres licences afin de favoriser son usage (il n’y a pas de réelle substitution, puisque les licences sont intégrées/contenues dans la première –
cf. infra). Cette compatibilité est au moins recherchée à l’égard des licences permissives (l’absence de compatibilité entre les licences GNU GPL v. 2 et
Apache était très critiquée à cet égard), l’exemple le plus représentatif étant la GNU GPL v. 3 qui peut moduler certains de ses termes afin de s’assurer de cette compatibilité (notamment
vis-à-vis des licences Apache ou Latex).
p.168Inversement, il peut aussi être dans leur intérêt de reconnaître une licence comme
expressément compatible (comme le font les licences CeCILL, EUPL, GNU AGPL, etc.) afin de répondre à une demande et de supprimer une partie des difficultés nées de situations d’incompatibilité :
soit par souci de légitimité (la situation la plus courante concerne la GNU GPL) ; soit, dans une vision plus altruiste, pour assurer une plus large diffusion des développements réalisés (la
licence est rédigée pour un projet ou une structure particulière, mais on cherche simultanément à faire profiter une large communauté de ces développements : c’est notamment le cas de la licence
EUPL).
p.169Ainsi, les intérêts entre rédacteurs de licences et simples utilisateurs de licences sont
différents et il est généralement conseillé pour un utilisateur de contourner (par des techniques contractuelles) les situations d’incompatibilité plutôt que de revêtir la casquette de rédacteur
d’une licence open source. Cela fait partie des nombreux réflexes relatifs à l’usage des licences libres (chapitre suivant).