p.1
p.2L’innovation, la création ou le développement reposent aujourd’hui, plus que jamais, sur une très
large réutilisation des travaux de tiers. Dès lors, la question n’est plus de savoir qui détient les droits de propriété intellectuelle, mais simplement comment pouvoir les exercer ! Cette
situation – une concentration de titulaires de droits exclusifs réunis pour l’exploitation d’une seule création – amplifie l’importance d’une bonne maîtrise tant des enjeux de propriété
intellectuelle que des licences libres.
p.3Chaque nouveau projet se traduit par une multitude de relations contractuelles destinées à favoriser
et sécuriser les collaborations composées d’une part croissante de contrats types fixant à priori et de façon intangible les conditions d’utilisation. À cet
égard et puisqu’elles opèrent une cession de droits d’exploitation très large facilitant la réutilisation de leurs créations (au bénéfice seulement de ceux qui respectent le cadre qu’elles ont fixé),
les licences libres et open source constituent une réponse optimum à cette recherche d’une innovation rapide et efficace. La liberté offerte est néanmoins
conditionnée au respect de certaines conditions et obligations qui nécessitent une vigilance particulière (avec comme sanction l’action en contrefaçon). Ainsi, cette logique de mutualisation,
génératrice d’importantes économies pour l’industrie, nécessite la mise en place d’une gestion spécifique, et notamment juridique, destinée à garantir le respect de l’ensemble des licences. Innover
dans ce cadre juridique ouvert impose donc :
– |
de gérer l’extension des effets des licences sur d’autres composants : c’est la question de l’ajout d’une licence et des situations d’incompatibilité ;
|
– |
de veiller au respect du formalisme imposé par les différentes licences (transmission du code source, mention de paternité,
différenciation des modifications, etc.). Celui-ci est notamment destiné à assurer la maîtrise effective du code, essentielle dans les projets open source (code
source, documents préparatoires, scripts, etc.).
|
p.4Ces deux composantes doivent imprégner l’élaboration de bonnes pratiques au sein des projets, voire
de politiques open source formalisées au sein des sociétés concernées.
p.5Ce dernier chapitre est celui le plus orienté « pratique » de l’ouvrage, répondant à la
question « comment, concrètement, doit-on utiliser les licences libres ». Pour commencer, il convient d’admettre qu’il est encore habituel que les enjeux relatifs aux licences libres ne
soient appréhendés que trop tardivement, par exemple lorsque la distribution de la création est d’ores et déjà programmée, ce qui abouti à des situations de concession peu satisfaisantes tant pour
l’équipe juridique et que technique. Une réflexion en amont doit donc être systématiquement préférée, car même si chaque licence obéit à un mécanisme qui lui est propre, il est néanmoins possible de
donner un certain nombre de recommandations quant à la mise sous licence libre (3.1) et la diffusion sous licence libre (3.2).
3.1 Les réflexes préalables à la diffusion
p.6Les projets doivent veiller à respecter l’ensemble des licences attachées aux composants qu’ils
utilisent, notamment vis-à-vis du cadre juridique qu’elles imposent et ses conséquences quant au choix et l’ajout d’une licence (3.1.1) et du formalisme qui leur est attaché (3.1.2).
3.1.1 Apprécier le cadre juridique induit par les licences libres
p.7Une bonne connaissance des licences est la condition nécessaire à l’appréhension du cadre juridique
qu’elles induisent. Cette appréhension permet alors de prendre toute mesure liée aux contraintes issues des choix des composants. C’est en agissant avec méthode que l’on choisit la licence (3.1.1.1)
et que l’on s’assure du respect des conditions nécessaires à l’ajout d’une licence libre (3.1.1.2).
3.1.1.1 Méthode relative à la sélection de la licence initiale
p.8Le choix initial de la licence est fondamental : en termes de marketing afin d’interpeller des
communautés déjà existantes ; en termes stratégiques, car le modèle économique développé autour du logiciel peut en dépendre ; et enfin en termes juridiques puisque l’ouverture du projet
peut engendrer l’arrivée de contributions pour lesquelles le titulaire initial ne pourra pas unilatéralement changer de licence. Une licence adaptée au logiciel et aux attentes de la société
facilitera la structuration de la collaboration future, cette dernière n’étant alors concentrée que sur l’optimisation et la mutualisation dans le développement et l’exploitation du logiciel (les
licences assurent, elles, les cessions de droits de propriété intellectuelle nécessaires). Le choix de la licence peut aussi avoir pour objectif d’ouvrir ou de former des pistes de collaboration avec
des sociétés concurrentes : on parle alors de coopétition, pour traduire l’idée d’une coopération entre des entreprises potentiellement concurrentes qui
gagnent toutes au développement du Libre.
p.9Plusieurs démarches doivent être décrites : la création d’une nouvelle licence (3.1.1.1.a), ou
le choix d’une ou plusieurs licence(s) existante(s), éventuellement adaptée(s) au logiciel (3.1.1.1.b).
La création d’une licence particulière
p.10S’épargnant tout choix, il peut être tentant de s’orienter vers la rédaction d’une licence
spécifique, particulièrement lorsque les projets et structures impliquées sont importants.
p.11Néanmoins, avant de se lancer dans cet exercice, il est nécessaire de mesurer l’intérêt et les
inconvénients de cette solution, généralement motivée par une volonté de créer un pot commun « encadré » ou de créer une licence « mieux adaptée » aux besoins. En effet, ces
préoccupations emportent aussi un certain nombre de désavantages qu’il peut-être préférable d’éviter.
p.12S’il s’agit de sectoriser afin de ne pas risquer la récupération par un projet ou une entreprise
concurrents, l’effet n’est pas garanti (compte tenu des libertés conférées par la licence) et les inconvénients sont non négligeables : la manne de composants open source tiers devient indisponible (en effet, plus la licence est spécifique et plus la compatibilité sera difficile à atteindre) et il sera alors plus difficile
d’intéresser les tiers aux projets (et il n’est pas possible d’ajouter une compatibilité en faveur d’autres licences sans entrer en contradiction avec cet objectif de réservation – mieux vaut
revoir complètement sa position que d’aboutir à la situation hybride qui consisterait à ajouter in extremis une telle compatibilité).
p.13S’il s’agit, de manière tout à fait légitime, d’une volonté de créer une nouvelle licence
optimisée pour la création (et son auteur), cet effort peut aussi s’avérer contre-productif : il fait courir le risque que la licence contienne des failles non existantes (ou résolues) dans
d’autres licences, et demande, outre sa rédaction, la mise en œuvre d’un travail de communication, d’interprétation et d’assistance dans la compréhension de cette licence, ce qui est, une nouvelle
fois, une activité coûteuse en temps et en énergie. En effet, la rédaction d’une licence est
un projet ambitieux. Il n’est pas rare que les nouvelles versions de licences prennent un ou deux ans avant d’être terminées. Un tel projet fait appel à des compétences particulières. Il est ainsi
généralement plus sûr d’utiliser une licence largement répandue chez des grands groupes tels IBM, HP, Microsoft, Sun, Oracle, Google, etc.. Le seul aspect positif est la potentielle compatibilité
avec la licence utilisée comme canevas, avantage bien faible compte tenu des autres solutions assurant une même compatibilité.
p.14Ainsi, la rédaction d’une nouvelle licence open source,
si elle peut dans certains cas (limités) se justifier, ne doit pas être une solution « par défaut », mais au contraire le fruit d’une réflexion globale qui ne peut faire l’économie d’une
sélection en amont d’une ou plusieurs licences « modèles ». Elle devra par ailleurs être le fruit de professionnels, aptes à intégrer les contraintes de sécurité juridique face à
l’écosystème existant du Libre et de l’open source.
p.15L’aspect politique pouvant, à lui seul, être la justification d’un tel choix, il est alors
nécessaire de rappeler les éléments qui précèdent afin que les risques soient clairement identifiés (un mauvais choix en la matière pourra annuler l’intégralité des avantages qu’apporterait
l’ouverture du projet).
Le choix d’une licence adaptée
p.16Plutôt que de « réinventer la roue », il est généralement conseillé d’utiliser une ou
plusieurs licences existantes.
Le choix d’une licence
p.17Le choix d’une licence est une juste combinaison de stratégie et de tactique.
p.18En termes stratégiques, le choix de la licence doit
traduire les intérêts juridiques, techniques et commerciaux du projet (voire de la société). Par ailleurs, il doit intégrer les contraintes issues de la réutilisation de créations tierces, sous
licence open source ou non.
p.19Il est nécessaire d’adopter la licence la plus adaptée à son projet en se concentrant sur ses
obligations, son étendue, son élément déclencheur et éventuellement la compatibilité qu’elle organise. Il convient donc, dans un premier temps, de réaliser un« cahier des charges et des besoins » et
de dresser un inventaire des licences qui répondent, en totalité ou en partie, aux attentes. Dans un second temps, il peut être utile d’estimer l’intérêt des licences au regard du contexte :
est-ce important d’utiliser une licence largement connue et testée ? Doit-on s’inspirer des choix opérés par des projets concurrents analogues ? Ces réponses ne peuvent être données qu’au
cas par cas, en fonction de l’examen et de l’approche choisie. Incontestablement, une licence disposant d’une large notoriété participe avantageusement à la communication qui suivra la libération de
la création. En revanche, le choix d’une licence similaire à un projet concurrent est un pari dont il faut bien mesurer les aléas : les contributions pouvant librement circuler d’un projet à
l’autre, celui qui réunit la meilleure communauté risque de l’emporter et de détourner à son profit les contributeurs de son concurrent ; à l’inverse, bénéficier de l’expérience et de
l’expertise déployée par une société concurrente peut s’avérer être un choix judicieux.
p.20Une fois sélectionnée la licence (ou un nombre limité de licences), il est nécessaire de faire
preuve de tactique de sorte à peaufiner l’usage fait de la licence afin de s’assurer qu’elle réponde en tout point aux objectifs de l’auteur ou du projet. La
seule existence de plusieurs centaines de licences laisse présager un nombre tout aussi grand de situations particulières les ayant justifiées. Il faut néanmoins rester vigilant au phénomène
d’incompatibilité que cette multiplication a favorisé (cf. supra). Cette tactique peut prendre la forme d’interprétations ou d’exceptions.
p.21En cas de clauses imprécises ou équivoques, il peut être utile de préciser le sens attendu,
voire de désigner une personne tierce – un médiateur ou proxy – comme source d’interprétation. Cela confère une portée précise à la licence, qui tient
les parties et le juge. C’est cette technique, dite de l’« interprétation » qu’utilisa Linus Torvalds sur le noyau Linux.
p.22L’usage des exceptions est une autre technique plus
radicale qui consiste à modifier une licence préexistante en ajoutant, dans une clause jointe à la licence (ou insérée dans les en-têtes des fichiers), une spécificité qui déroge aux termes initiaux
avec pour effet de rendre la licence finale plus ou moins contraignante. Cela permet, par exemple, de réduire efficacement la portée d’un copyleft, en lui
fixant une étendue différente, en excluant plusieurs logiciels ou une catégorie entière de logiciels (plusieurs exceptions peuvent d’ailleurs être attachées à des parties différentes d’un
logiciel). Il est à noter qu’en l’absence de stipulation contraire, une clause additionnelle
qui ne fait « qu’ajouter des droits » pourra être supprimée par tout licencié au moment de la redistribution d’une copie de cette création.
p.23La maîtrise de plus en plus fine de la pratique contractuelle liée aux licences open source conduit aujourd’hui à conseiller une pratique réfléchie et adaptée de ces exceptions et interprétations. Les premières confèrent plus de souplesse aux
licences, les secondes assurent une plus grande sécurité juridique. Un bon usage de celles-ci
peut permettre de prévoir et de résoudre a priori la plupart des situations préjudiciables (obligations particulières du licencié, problèmes d’incompatibilité, failles au sein des licences,
etc.).
Le choix du libre choix : les multilicences
p.24On parle de multilicence lorsqu’une seule et même création est simultanément disponible sous
différentes licences : qu’elles soient toutes open source ou qu’au moins l’une d’elles le soit. On ne parle plus de « double licence » lorsque la
licence open source n’est qu’une option au côté de licences propriétaires classiques. Multiplier les licences permet généralement d’associer leurs
avantages : assurer une compatibilité au bénéfice de plusieurs licences, bénéficier de la renommée de l’une, consolider la cession de droits, etc.
p.25Contrairement à ce que beaucoup semblent croire, il s’agit d’une technique simple et
efficace :
1. |
le contenu sous licence est dès lors compatible avec la totalité des licences qui lui sont adjointes – auxquelles se rajoutent les licences avec lesquelles
celles-ci sont déjà elles-mêmes compatibles ;
|
2. |
le licencié dispose donc de beaucoup plus de droits – dès lors qu’il respecte au moins l’une des licences. En quelque sorte, cette pratique permet d’ajouter une
liberté au licencié qui est celle du choix de la licence à laquelle il se soumet (chaque usage fait de la création doit être conforme au moins à l’une des licences) ;
|
3. |
conséquence du point précédent, cette pratique permet de limiter le copyleft global qui s’applique à l’œuvre par cela même que,
le licencié pouvant utiliser tout droit compris dans l’une au moins des licences, ce sont les dispositions de la licence la plus permissive qui l’emportent ;
|
4. |
enfin, en termes de sécurité juridique : si l’une des licences devait être annulée par une juridiction nationale, le licencié pourrait toujours revendiquer les
droits conférés par l’autre (c’est aussi une source de prévisibilité pour celui qui utilise au
moins une licence assurément valide – qui pourrait par exemple souhaiter utiliser une licence en langue française, conforme à son droit national, etc.).
|
p.26C’est donc une solution qui, utilisée à bon escient par les auteurs, peut permettre optimiser la
diffusion des créations et faciliter les contributions. Enfin, les motivations ne sont pas uniquement d’ordre juridique et il est possible de constater des situations où l’une des licences
« contenant » déjà la seconde, la réunion des deux ne confère ainsi aucune prérogative spéciale au licencié. Inutile juridiquement, mais utile en termes de communication…
p.27Pour finir, ce mécanisme n’est pérenne dans son application sur un projet qu’autant que
l’ensemble des contributions se fasse a minima sous licence multiple (quitte à ce que celles qui ne le seraient pas soient réécrites), ou licence permettant ces
licences multiples (par exemple des licences du type MIT ou BSD).
3.1.1.2 Les conditions relatives à l’ajout d’une licence
p.28L’ajout d’une licence libre à une création peut être du fait volontaire d’une personne physique
ou morale qui diffuse l’œuvre (par exemple en application d’une politique globale à l’échelle de son entreprise ou du projet, etc.) ou par application des contraintes d’une licence (clause dite
copyleft) qui imposerait l’extension des termes à d’autres composants (généralement du fait de leur combinaison ou d’une relation d’utilisation).
p.29Quel que soit le contexte, celui qui diffuse une création selon les termes d’une licence
open source doit veiller à être en capacité de le faire. Il ne s’agit pas ici de savoir s’il a la capacité d’opérer sur le marché, mais de savoir si cela se
fait en conformité avec les différents droits de propriété intellectuelle qui peuvent porter sur la création – les licences libres n’étant en effet que des outils juridiques dont l’effectivité
repose sur la possession de droits de propriété intellectuelle suffisants. Deux statuts peuvent exister :
1. |
celui de titulaire des droits ;
|
2. |
celui de cessionnaire.
|
p.30Finalement, un tel ajout est peu complexe vis-à-vis des créations que l’on contrôle
personnellement (3.1.1.2.a), mais il en va autrement en présence de créations tierces soumises au respect de licences particulières (3.1.1.2.b).
L’ajout d’une licence sur ses propres créations
p.31Le titulaire des droits peut être le créateur originaire (ou son employeur si l’œuvre est créée
« dans l’exercice de ses fonctions ou d’après les instructions de son employeur »)
ou une personne qui se serait fait céder l’intégralité des droits (par exemple le bénéficiaire de la création dans le cadre d’un contrat de commande lorsqu’une telle répartition des droits est
prévue). On ne saurait trop conseiller à une personne morale (société, association, etc.) de vérifier les droits qu’elle détient (par contrat, dévolution automatique ou du fait de ses propres
démarches en cas de dépôts de brevet, marques, etc.).
p.32Le titulaire des droits va ainsi user de ses prérogatives patrimoniales afin d’organiser le partage de ses droits gracieusement au profit de détenteur de support ou de l’utilisateur de la création sur laquelle porte la licence. Cette cession non-exclusive
n’empêche aucune autre exploitation ultérieure :
– |
le titulaire des droits qui communique son œuvre sous licence libre peut aussi (concomitamment ou ultérieurement) la diffuser d’une façon tout autre, et pas
nécessairement libre ou open source ;
|
– |
le contributeur qui doit diffuser sous licence libre ses propres contributions peut cumulativement le faire sous une autre licence, voire sous une licence non libre ou
open source s’il trouve à les réutiliser dans d’autres contextes (pour résumer : sa contribution restera a minima
aussi libre).
|
Note
p.33Il y a donc une grande différence de situation entre la (ou les) personne(s) titulaire(s) de
droit(s) et les personnes cessionnaires (en capacité d’exploiter l’œuvre). Ainsi la création serait véritablement libre lorsque, au surplus d’être soumise à une licence, elle est aussi partagée entre
de multiples auteurs : la création devenant alors quasiment autonome – une res communis qui, de par sa nature, ne peut être appropriée –
appartenant à tous, donc à personne.
L’œuvre d’un mineur
p.34L’auteur est celui qui crée l’œuvre originale : enfant, adulte, peu importe. Néanmoins, la
question de sa capacité à s’engager se pose lorsque le concédant en est incapable (notamment entre enfant ou représentant légal).
p.35La réponse est en deux temps, selon qu’il s’agit du droit moral ou du droit patrimonial…
p.36En tant qu’auteur, le contrat est soumis à l’autorisation écrite de l’auteur (droit moral de
divulgation), mais, en tant qu’incapable mineur, l’enfant ne peut pas exploiter son œuvre (droit patrimonial), car c’est un engagement qui dépasse les seuls actes de la vie courante et qui doit donc
être confié à ses représentants.
p.37Ainsi, pour mettre sous licence libre l’œuvre d’un mineur (ou d’un quelconque incapable), il
faut réunir les deux signatures : celle de l’auteur et celle de son représentant (on peut noter que la seconde est moins importante puisque la seule action disponible est l’action en rescision
pour lésion : si l’acte est pécuniairement désavantageux pour le mineur, alors même que les licences libres sont en principe sans considération économique).
L’ajout d’une licence sur d’autres composants
open source et les situations d’incompatibilité
p.38Le second statut, celui de cessionnaire d’une licence, est régi par contrat et est généralement
assorti d’un certain nombre de conditions : qu’il s’agisse d’une autre licence open source ou d’une cession limitée (il peut, par exemple, ne disposer que
du droit de céder les droits, sans possibilité d’en jouir lui-même).
p.39Les conditions peuvent être plus ou moins contraignantes, mais il faut garder à l’esprit qu’il
est impossible de simplement « remplacer » une licence et, ainsi, que toute utilisation d’une nouvelle licence doit respecter celles préexistantes – c’est la raison pour laquelle on
parle d’ajouter une licence « au surplus de celle(s) déjà existante(s) ».
p.40Ainsi, lorsque plusieurs licences nécessitent leur extension à un même composant, il convient de
régler en amont les problèmes de compatibilité entre elles (la situation la plus simple étant lorsqu’une telle compatibilité est expressément assurée au sein de la licence) – en déterminant dans
quelle mesure la distribution sous une licence spécifique respecte les autres licences – afin de vérifier ensuite que l’ajout est bien possible au regard de la licence d’origine.
p.41Il convient donc de déterminer les situations de superposition et, à défaut d’une compatibilité
expresse, de vérifier l’existence d’une compatibilité logique entre les différentes licences (c’est-à-dire la possibilité de respecter l’une en utilisant l’autre, généralement parce qu’elle n’oblige
pas moins et ne donne pas plus de droits). Cette problématique est relativement simple lorsque les licences font partie d’une même famille de licences, mais devient rapidement plus complexe lorsque les licences sont d’origines diverses. La dernière version de la GNU GPL (v. 3)
s’appuie sur ce principe pour accueillir en son sein une souplesse et une modularité qui lui permettent d’assurer la compatibilité à l’égard de licences libres et open
source auparavant incompatibles : en permettant, sur chaque nouvelle
contribution, d’une part, l’ajout de permissions additionnelles et, d’autre part, l’ajustement par l’utilisation de certains termes supplétifs limitativement autorisés.
p.42Néanmoins, il peut arriver dans certaines situations que les obligations soient contradictoires
et inconciliables (impossibles à respecter simultanément), y compris en présence seulement de composants open source, on parle alors d’incompatibilité entre les licences : la création ainsi composée ne peut être exploitée en respectant cumulativement toutes les licences. Parfois, la lecture des
licences peut permettre, matériellement ou techniquement, de résoudre certaines
incompatibilités (par exemple dans l’hypothèse de certaines formes de distribution,
certains modes de distribution et certaines constructions de la création). Mais de tels contournements compliquent la compréhension de la licence et ne sont généralement
pas souhaitables – ou possibles – et, à défaut de solution à cette incompatibilité, il faudra renoncer à l’utilisation d’un composant (ce qui revient souvent à le réécrire), voire à la
diffusion d’un ensemble de composants, ou encore se rapprocher de l’auteur (ou des auteurs) de la création afin qu’il consente soit à une exception expresse indiquant à quel logiciel il entend ne pas étendre sa licence
(dans un fichier supplémentaire distribué avec le logiciel et sa licence), soit à l’utilisation d’une autre licence.
La théorie des ensembles et la compatibilité
p.43Cette réflexion peut se traduire mathématiquement grâce à la théorie des ensembles sous la forme
qui suit : la licence B est dite compatible (c’est-à-dire qu’elle peut être utilisée pour redistribuer le logiciel en respectant les termes de la licence originaire A) si et seulement si
l’ensemble des droits de la licence B est inclus dans la licence A et que l’ensemble des obligations de la licence A est inclus dans la licence B.
3.1.2 Respecter le formalisme lié à l’utilisation des licences libres
p.44La maîtrise effective des éléments constitutifs de la création est essentielle dans les projets
open source puisque ce n’est que lorsque l’utilisateur est matériellement en mesure d’en user que les droits cédés par la licence trouvent leur utilité – rendant indispensable l’accès à un certain nombre d’éléments matériels (code source,
documents préparatoires, scripts, etc.).
p.45Ainsi, au-delà de la simple cession de droits, les licences libres et open source contiennent généralement un ensemble de dispositifs pratiques qui ont pour fonctions principales d’assurer aux utilisateurs une bonne information (3.1.2.1) et
une réception effective de la création (3.1.2.2). C’est sur leur fondement que la cour de Munich avait, courant 2007, rendu une décision en ce sens lors de l’affaire Welte vs. Skype Technologies SA,
condamnant la société Skype qui n’incluait ni une copie de la GNU GPL ni le code source correspondant au binaire conformément au texte de la licence (Skype incluait néanmoins l’URL de celui-ci par
l’intermédiaire d’un flyer).
3.1.2.1 Le respect du formalisme assurant une bonne information
p.46La reconnaissance par les pairs, ainsi que l’entretien d’une « image » liée à leurs
activités créatrices (pour des raisons artistiques ou économiques), sont des éléments moteurs pour de nombreux individus. Les mentions légales, obligatoires, y pourvoient, mais sans indiquer
précisément quelles sont les actions attendues et quel formalisme doit accompagner la réutilisation et la diffusion de leurs œuvres (les juges appréciant au regard des « usages du
métier »).
p.47C’est ce manque – moins présent pour les œuvres non logicielles – que comblent les contraintes des licences relatives au formalisme, sous la forme d’une
série d’obligations qui assurent une bonne information quant à l’origine du code et des conditions de son exploitation auprès des utilisateurs. Ces obligations vont parfois plus loin que les simples
mentions légales – telles les clauses dites « de publicité » qui s’étendent à tous les documents commerciaux publicitaires relatifs au logiciel qui les contient.
p.48Ainsi, il est possible de distinguer les obligations opérant une mise à disposition passive des
informations légales (3.1.2.1.a) et celles contraignant à un affichage actif (3.1.2.1.b).
La mise à disposition passive des informations légales
p.49Les informations légales (y compris le texte des licences) figurent dans les en-têtes des
fichiers et (si nécessaire) dans des fichiers joints aux sources.
p.50De manière générale, tout fichier (comprenant du code sous licence libre ou non) devrait
contenir un en-tête affichant les « mentions légales minimums » : c’est-à-dire rappelant le nom et la qualité du titulaire de droits, la date de la création (et éventuellement des
ajouts), et les licences utilisées. Une mention excluant toute garantie est aussi à prévoir dans le cadre des licences libres. Elle peut être assez courte pour les petits fichiers, et reprendre
l’intégralité de la clause d’exclusion de garantie de la licence utilisée pour les fichiers plus importants.
p.51Pour éviter d’alourdir inutilement le code distribué, toutes les mentions trop longues pour être
insérées en l’état dans chaque en-tête peuvent être transférées dans des fichiers joints aux sources :
– |
les textes des licences, leurs éventuelles traductions et
modalités spécifiques d’application (fichier license(s).txt) ;
|
– |
le fichier explicatif permettant à l’utilisateur ou au licencié de comprendre où trouver les informations qu’il recherche, le fonctionnement du projet, comment
contribuer au projet, les éventuels composants soumis à d’autres licences, etc. (fichier readme.txt) ;
|
– |
la liste exhaustive des contributeurs originaux et subséquents au logiciel, avec les dates de chacune de leur contribution (fichier authors.txt) ;
|
– |
les autres informations (documentation du logiciel – qui rappellera par ailleurs les mentions légales du logiciel –, une FAQ – qui permettra de lever
toute ambiguïté –, etc.).
|
p.52Il s’agit ici de bon sens et de bonnes pratiques, les licences n’imposant généralement que des
mentions « raisonnables » de ces éléments, d’autres fichiers peuvent venir
compléter cette liste : changelog.txt, legal.txt, export.txt, etc.
Faut-il impérativement utiliser le signe © ?
p.53En matière de copyright, le droit américain s’est longtemps différencié du système latin du
droit d’auteur, et ceci notamment en conditionnant l’action en justice à un enregistrement des œuvres auprès de l’United States Copyright Office pour agir en justice.
p.54En parallèle, et afin de reconnaître des droits aux auteurs étrangers dont les œuvres n’étaient
pas soumises à ce formalisme, une procédure plus légère fut assimilée à cet enregistrement, consistant en l’apposition d’une mention comportant « de façon nette le symbole ©, accompagné du nom
du titulaire du droit d’auteur et de l’année de publication de l’œuvre ».
p.55Depuis l’adhésion des États-Unis à la Convention de Berne, en 1989, un assouplissement du
formalisme américain a rapproché celui-ci du système du droit d’auteur qui protège les œuvres du simple fait de leur conception. Ainsi, une simple mention de l’auteur et de la date de conception
devrait permettre à toute personne de revendiquer ses droits.
p.56Néanmoins, cette notice de copyright doit être considérée
comme une présomption de titularité des droits, et la rédaction « à l’américaine », notamment recommandée par l’article III.1 de la Convention Universelle, conserve ainsi une certaine
utilité.
L’affichage actif des mentions légales
p.57Dépassant l’affichage classique des mentions légales, quelques licences demandent aux licenciés
de s’assurer par un comportement actif que les utilisateurs auront bien connaissance des mentions légales, de la licence, etc.
p.58Ainsi peut-on regrouper les clauses qui ont pour vocation d’assurer :
– |
la visibilité de l’affichage des mentions légales. Les licences peuvent demander à ce que les mentions légales soient clairement
affichées : à certains moments et dans certains contextes (telle la GNU GPL en présence d’interface utilisateur interactive) ou telles qu’elles étaient affichées à la réception de l’œuvre (telles les licences Yahoo Public License ou Zimbra Public License) ;
|
– |
l’affichage d’attributions particulières. Ces clauses vont un peu plus loin que les simples mentions légales et demandent que
soient ajoutées certaines mentions ou phrases lors de la distribution et/ou l’utilisation du logiciel ;
|
– |
la publicité autour du logiciel. Ainsi était-ce notamment le cas de la licence Apache version 1.0 ou de la version initiale
de la BSD (4-clause BSD) – ces deux licences étant encore utilisées sur le logiciel Truecrypt. Ces clauses, bénignes à leur origine, deviennent lourdes de conséquences lorsque leurs effets se cumulent ou s’accroissent. Ainsi en est-il lors de la multiplication de
clauses de publicité, la plus renommée pour sa dégénérescence étant celle de la licence BSD. Elle contraignait à citer le donneur de licence dans toute publicité relative au logiciel ou à son utilisation, provoquant de lourds problèmes lorsque les contributeurs
choisirent d’utiliser cette licence en modifiant la citation en leur faveur : la multiplication des citations devint rapidement extrêmement fastidieuse et gênante. La FSF s’est rapidement
prononcée contre l’« odieuse clause de publicité BSD » (Richard Stallman rapporte ainsi avoir décompté en 1997 plus
de 75 mentions publicitaires obligatoires attachées à la distribution de NetBSD).
|
3.1.2.2 Le respect du formalisme assurant une réception effective de l’œuvre
p.59Il s’agit ici du code source correspondant (3.1.2.2.a), de la documentation (3.1.2.2.b) et tout
autre élément utile pour l’appréhension de la création (3.1.2.2.c).
Le code source correspondant
p.60De nombreuses licences définissent la notion de code source comme la forme de la création
préférée pour faire des modifications sur celle-ci.
p.61Les licences vont dorénavant plus loin et la GNU GPL requiert la « source
correspondante » du logiciel fourni en exécutable, défini comme étant « tout le code source nécessaire pour générer, installer et (pour une création exécutable) exécuter le code objet et
modifier la création, y compris les scripts pour contrôler ces activités ». Les bibliothèques systèmes et autres éléments habituellement disponibles dans un environnement de développement sont
cependant exclus pour des raisons pratiques.
p.62Le plus simple est généralement que la source accompagne le binaire (ou soit disponible sur le
même serveur). Or, ce n’est cependant pas toujours possible ou souhaité et d’autres alternatives sont généralement proposées : telle l’offre de fournir les sources correspondantes à la demande
(mais avec d’autres problématiques comme le délai raisonnable de cette communication des sources).
Non respect de la GNU GPL sur GNU EMACS ?
p.63Il est toujours bon de se rappeler que même les meilleurs sont faillibles. Ainsi, RMS a
récemment publié un article annonçant que plusieurs versions de son logiciel GNU Emacs ne respectaient pas la GNU GPL (Emacs distributions are not GPL-compliant) :
p.64From: Richard Stallman
p.65Subject: Re: Compiled files without sources????
p.66Date: Thu, 28 Jul 2011 19:00:17 -0400
p.67They are in Emacs releases 23.2 and 23.3. They have been in all
pretests since emacs-23.1.90, dated 2009-12-09. They were merged into the Emacs trunk in bzr 97804, dated 2009-09-28; here’s a URL for that: (URL).
p.68We have made a very bad mistake. Anyone redistributing those versions
is violating the GPL, through no fault of his own.
p.69We need to fix those releases retroactively (or else delete them),
and we need to do it right away.
p.70I see two quick ways to fix them: to delete the compiled files, or to
add the sources they are made from.
p.71--
p.72Dr Richard Stallman
p.73President, Free Software Foundation
p.74Cette erreur est bien entendu aujourd’hui corrigée.
La documentation
p.75La documentation d’un code et d’un logiciel (ou d’une création utilitaire qui sera ou non amenée
à évoluer) est une condition nécessaire à sa bonne prise en main. Deux types de documentation peuvent être distribués :
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la documentation relative à l’installation et au paramétrage du logiciel. Son statut juridique est calqué sur celui du logiciel et certaines licences imposent sa
communication dans les mêmes termes (notamment l’OSL) ;
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– |
la documentation « utilisateur » qui est protégée de manière indépendante et pour laquelle la société peut parfaitement utiliser une licence différente (la
GNU FDL étant généralement la plus adaptée en raison de son étendue très large qui permet d’assurer de conserver une documentation entièrement libre).
|
Autres éléments
p.76Enfin, dans l’hypothèse où certains composants pourraient être certifiés (ou simplement qualifiés, selon le secteur industriel), la problématique d’une mutualisation des coûts engendrés par cette certification peut venir s’ajouter aux
réflexions sur l’open source : le matériel de certification pourra ainsi être librement communiqué (afin de favoriser la diffusion et utilisation du
logiciel) ou, au contraire, être réservé à un groupe de sociétés afin de mutualiser le coût au sein d’une communauté d’utilisateurs. Ces problématiques sont très fortes dans des secteurs tels
l’aéronautique, l’aérospatiale, le ferrovière, l’automobile, etc.
3.2 Diffuser sous licences libres
p.77 Le courant des licences libres, malgré sa jeunesse et sa relative complexité, a rapidement
donné naissance à un nouveau système. Ainsi, c’est l’organisation des acteurs privés qui doit être examinée (3.2.1) avant de se pencher sur l’organisation relative à la diffusion du logiciel sous
licence libre (3.2.2).
3.2.1 Se positionner dans l’écosystème du logiciel libre
p.78 Par leur organisation, les acteurs privés ont dessiné un nouveau système dont il convient de
présenter les acteurs (3.2.1.1) et les interactions qui le caractérisent (3.2.1.2).
3.2.1.1 Les acteurs du système du logiciel libre
p.79 Les licences libres ne sont que des outils. Le corollaire est que tous les types de personnes
(physiques ou morales, privées ou publiques, de tout secteur ou métier) les utilisent, avec une pluralité de motivations, mais au profit de la constitution d’un « pot commun » qui les
réunit (chacun étant libre d’y verser comme d’y puiser). Les individus, les associations et autres organismes à but non lucratif ont souvent un rapport au Libre complexe qui mêle philosophie,
idéologie, et des arguments plus raisonnés comme le coût ou l’indépendance qu’offrent les solutions logicielles libres. Tandis que les entreprises, neutres par essence, ainsi que les collectivités et administration adoptent le Libre par opportunité et pragmatisme (les logiciels libres
assurant, outre une maîtrise des coûts, les avantages d’une grande flexibilité et d’un développement rapide).
p.80Parmi tous les courants et même s’il n’est peut-être pas le plus connu du grand public (le
mouvement de l’Open Data est par exemple « très vendeur »), le secteur le plus avancé et structuré est incontestablement celui du logiciel : 50 % des entreprises interrogées par
Gartner. ont adopté les logiciels libres dans le cadre de leur stratégie informatique.
Ainsi, l’industrie du logiciel libre devrait représenter 10 % du marché de demandes en logiciels et services français d’ici 2 ans (renforçant ainsi la compétitivité de la France en matière de développement de logiciels).
p.81 Les développements qui suivent seront donc dédiés au système qui caractérise le logiciel
libre. On s’aperçoit que les frontières entre les différents acteurs (éditeurs des logiciels, intégrateurs, constructeurs et utilisateurs) sont beaucoup moins étanches que dans le secteur
traditionnel du logiciel : les éditeurs intègrent de plus en plus de composants open source dans leurs logiciels, les intégrateurs peuvent prendre le rôle
d’éditeur vis-à-vis de leur client (support de niveau 3, développement de nouvelles fonctionnalités, etc.) et les utilisateurs eux-mêmes se réunissent en « une communauté d’utilisateurs
éditrice ». Néanmoins, si on distingue les entreprises simples utilisatrices de
composants open source de celles qui orientent leur modèle économique en rapport avec cet usage, et qu’on se concentre sur ces dernières seulement, on peut
distinguer différents rôles : éditeurs (3.2.1.1.a), intégrateurs (3.2.1.1.b), constructeurs (3.2.1.1.c), grands utilisateurs clients (3.2.1.1.d), fondations et communautés (3.2.1.1.e) et centres
de recherche (3.2.1.1.f).
Les éditeurs
open source
p.82 Il s’agit ici de l’entreprise distribuant sous licence libre un logiciel qu’elle édite. De
multiples adoptions de l’open source coexistent dans le monde de l’édition : en fonction de l’éditeur (et de son histoire), du type de produit édité et de
ses utilisateurs. Le choix n’est pas systématique, mais les éditeurs qui souhaitent construire un modèle économique innovant, voire disruptif, ont besoin de s’appuyer sur une communautés,
préexistante ou nouvellement créée, qui va jouer le rôle de soutènement (renforçant le logiciel, se substituant parfois à la société, et constituant une réserve de clients voire de salariés pour la
société). À partir de là, le modèle économique de la société est généralement issu d’un équilibre entre ce qui est cédé et le contrôle, plus ou moins fort, conservé par l’éditeur (par un droit
exclusif, sur la feuille de route, etc.). Se concentrant sur les seules pratiques juridiques sans que la liste soit exhaustive, les principaux mécanismes (librement combinables) sont l’usage du droit
des marques, la proposition de licence commerciale complémentaire, la mise à disposition décalée ou encore le contrat.
p.83Le plus souvent, les éditeurs assurent la protection de leur produit par l’usage complémentaire
du droit des marques : le logiciel est librement diffusé sous licence open source, mais tout usage de la marque est soumis à autorisation. Cette faculté qu’offre le cumul de droits exclusifs concurrents sur un même objet a ici l’avantage de
rendre quasi inexistant le coût d’entrée pour les utilisateurs, tout en assurant à l’éditeur principal un contrôle sur l’évolution, la distribution des copies et l’exploitation globale du logiciel.
Dans l’usage de ce droit, il est possible de distinguer les sociétés commerciales qui ont tendance à en user de façon très agressive – au point parfois de réduire les libertés concédées par la
licence open source sur le logiciel – tandis
que les structures non commerciales en font un usage plus modéré, équilibré, qui a principalement pour objectif de défendre l’image associée au logiciel. Le risque inhérent à ce type d’utilisation du droit des marques est que l’éditeur, trop mercantile, se mette à dos la communauté qui
s’émancipe alors en enlevant toute allusion à la marque du logiciel et en reprenant à son compte les logiciels diffusés sous licence open source. Aux États-Unis, les brevets sont aussi utilisés comme un levier supplémentaire permettant de
convaincre les investisseurs et les clients (Novell en étant le meilleur exemple). On observe le même phénomène en Europe, même si l’utilisation des brevets parallèlement à une licence libre reste
heureusement un comportement isolé et très critiquable.
p.84Par ailleurs, il est fréquent que les éditeurs ne fassent pas le choix exclusif de
l’open source et développent de façon périphérique des offres commerciales en associant à la version libre des add-ons ou
plug-ins (greffon) sous licence commerciale. Dans
le même esprit, il est possible de proposer le même logiciel sous une licence commerciale présentée comme alternative à la licence open source ou de proposer un service autour d’une version non encore distribuée du logiciel (à noter
néanmoins que ces deux solutions sont conditionnées au fait que la société détienne tous les droits sur le logiciel ou que les licences des composants open source utilisés n’interdisent pas de telles utilisations ou distributions fermées). Dans ce
second cas, il est possible de penser à un modèle du type free cloud telle que l’offre Drupal Garden de la société
Acquia : un ou plusieurs services fournis sur la plate-forme de l’éditeur (par exemple création et hébergement d’un site) s’harmonisent avec la distribution open
source du logiciel puisque l’utilisateur peut à tout moment exporter le code et le contenu générés pour les installer sur sa propre instance. Dans ces hypothèses, mixer licences open source et commerciales permet divers montages dans
lesquels les communautés continuent à trouver leur intérêt à utiliser et collaborer au développement du logiciel grâce à la licence open source, tandis que les
utilisateurs professionnels préfèrent à terme opter pour une licence commerciale.
p.85De façon assez similaire, certaines sociétés proposent des mises à jour plus simples et
régulières à leurs clients (non immédiatement accessible aux utilisateurs de la version communautaire) : soit par une mise à disposition systématiquement décalée (de quelques mois ou quelques
semaines) ; soit par une mise à disposition graduelle des mises à jour pour les clients (alors qu’elles seraient regroupées pour la version complémentaire). Ce décalage peut être matériel ou
juridique (les mises à jour ne sont considérées comme divulguées qu’à compter d’une certaine période).
p.86 Enfin, certaines sociétés usent du droit des contrats afin de limiter accessoirement
l’utilisateur dans les libertés que lui concède la licence open source : que ce soit lors de la vente de services aux utilisateurs qui souhaitent
bénéficier du support et des mises à jour ou dans les rapports entre distributeurs et
revendeurs . Les contrats sont aussi essentiels pour les logiciels orientés métiers
demandant de concevoir plus finement la collaboration entre les différents industriels : la licence open source n’étant alors plus qu’une partie du cadre contractuel (s’ils sont concurrents, une licence copyleft sera une condition sine qua non afin d’assurer une relative pérennité et équité dans le développement du logiciel) – un
contrat de consortium complétant éventuellement tous les aspects non couverts par la licence (comité de direction, procédé de développement, prise en compte des orientations, marketing et
communication, etc.).
Par exemple...
p.87Révélateur de l’intérêt de l’open source, les diverses
structures représentatives de l’industrie du logiciel se positionnent progressivement sur le sujet et mettent en place des commissions open source.
p.88Ainsi, Syntec Numérique a rédigé un Guide Open Source et créé un comité open source avec pour mission de « fixer le cadre contractuel et
d’usage en matière de projets informatiques incluant du logiciel libre : comment s’inscrit le logiciel libre dans l’architecture des projets informatiques, en matière technique, juridique,
business model, organisationnelle et distribution. »
p.89À son tour, l’AFDEL qui avait abordé les logiciels libres au travers d’un guide, a récemment mis en place une commission dédiée, présidée par Bertrand Diard (Talend), avec pour
mission de « réunir et fédérer les éditeurs de logiciels en France pour débattre de thèmes spécifiques liés au modèle open source, et rédiger des conclusions et propositions sur ces
thèmes. »
p.90Le Cigref a aussi récemment publié son guide intitulé « Maturité et gouvernance de l’Open
Source : la vision des grandes entreprises » (
http://www.cigref.fr).
Microsoft et l’open source
p.91Le comportement de cette société peut, à divers égards, sembler paradoxal :
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un laboratoire open source a été mis en place, et Microsoft s’enorgueillit de contribuer à plusieurs projets libres (voir le billet intitulé« Microsoft Contributes Linux Drivers to
Linux Community », sur Microsoft.com) ;
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– |
la société a une politique en matière de brevets généralement contraire à l’ open source : elle oppose régulièrement ses
brevets contre des projets open source ; et a racheté des brevets de Novell par l’intermédiaire d’un consortium (CPTN Holdings LLC) qu’elle dirige ;
même si elle a par ailleurs publié deux promesses de non-agression (« Patent Pledge for Open Source Developers » ; « Microsoft Approach to Interoperability ») ;
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la société s’est rapprochée de l’éditeur Novell au sein d’un Interop Ability Lab (interopérabilité
entre Windows serveur et Suse Linux Entreprise : http://www.moreinterop.com) ;
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la WebApp de Microsoft comporte par ailleurs des clauses interdisant aux développeurs d’utiliser directement ou indirectement des composants sous licence open source (voir Computing.co.uk, « Microsoft
restricts use of open source in app ») : « the application must not include software, documentation, or other materials that, in whole or in part, are governed by or subject to an
’excluded license’, or that would otherwise cause the application to be subject to the terms of an excluded license. ». Sont ainsi exclues les licences GNU GPL et AGPL, et équivalentes…
|
p.92 Depuis peu, la société communique sur son modèle économique intitulé Open Surface (un
cloud qui mêle logiciels libres et propriétaires).
Les intégrateurs
p.93De leur côté, les intégrateurs de logiciels libres et open
source (ou de solutions partiellement composées de ceux-ci) subissent généralement plus les licences qu’ils ne les choisissent : leur seule préoccupation étant que les briques logicielles
puissent aisément se combiner entre elles. Il n’y a donc pas d’usage du droit des marques à l’égard des produits, mais surtout une expertise approfondie des combinaisons de licences leur permettant
de s’assurer de la faisabilité du projet et de s’engager sur ce point auprès de leurs clients et dans leurs contrats (les clients demandant aujourd’hui la garantie de telle compétence ainsi que la
livraison de certaines études précises sur ces questions). Transférant généralement un logiciel qu’il n’a pas (à priori) lui-même développé, mais seulement adapté au besoin de son client,
l’intégrateur est lui-même limité par sa qualité de licencié à l’égard des auteurs des logiciels libres sur lesquels il intervient, et, ne pouvant céder plus de droits
qu’il n’en possède lui-même, il communiquera à ses clients cesdits logiciels sous leur licence open source d’origine (ou toute autre licence
compatible).
p.94 En ce qui concerne leurs contributions spécifiques, les pratiques sont multiples, mais il
semblerait finalement que le plus avantageux pour l’ensemble des parties soit que la titularité des droits soit conservée par celui qui maintient et édite le logiciel (généralement l’intégrateur).
Ainsi celui-ci cède l’ensemble de ses développements sous licence libre au client et conserve la titularité des droits. Ce compromis reste fidèle au procédé de création open source dans lequel l’auteur reste titulaire de droits et cède sous licence open source de façon non exclusive, afin de permettre
tant au client de mutualiser les résultats de la prestation, qu’à l’intégrateur de valoriser les travaux par tous moyens appropriés.
Les constructeurs
p.95 Concourant à la création d’une industrie réunissant innovations matérielles et logicielles,
les constructeurs (tels HP, Intel, IBM ou Dell) embarquent de plus en plus de logiciels et se rapprochent à ce titre des différents projets de logiciels libres (et l’open cloud) – devenant de jour en jour des contributeurs majeurs dans les projets OS (Linux, Busybox, etc.) au point de faire de leurs contributions respectives des
éléments différenciant.
p.96 En effet, de tels logiciels permettent, en plus d’écorner certains monopoles, de réduire le
coût de développement, d’optimiser l’interaction entre les logiciels et leurs matériels (ou a minima d’assurer la compatibilité avec leur produit).
p.97 À l’instar des intégrateurs, les constructeurs sont généralement désireux d’une compatibilité
maximum entre les licences des logiciels open source utilisés, même s’ils peuvent avoir intérêt à définir certaines politiques : favorables à certaines
licences permissives (par exemple dans le secteur du mobile, avec la diffusion d’Android sous licence Apache) ; ou exemptes de certaines obligations (par exemple, de licences de brevets) qui
seraient incompatibles avec leur politique plus vaste relative à la propriété intellectuelle.
p.98De nombreux secteurs sont concernés par une certification (ou qualification, cf. supra) de leur produit : l’open source est pour eux une solution qui permet de mutualiser les frais de développement tout en
conservant le bénéfice personnel de la certification de leur version.
Les utilisateurs
p.99 Contrairement aux logiciels traditionnels, les logiciels libres sont généralement accessibles
à toutes catégories d’utilisateurs, dans les mêmes conditions. Ainsi, libre à chacun (individu, société, organisme à but non lucratif, collectivité ou État) de s’installer un forum (Phpbb), un wiki
(Mediawiki), voire un Facebook-like (Elgg) ou un Youtube-like (Mediacore), etc.
p.100Les utilisateurs d’un projet open source sont
particulièrement sensibles à la licence du projet : l’impact de cette dernière étant fonction de l’utilisation qu’ils en font (par exemple, si des services sont proposés sur la base de ces
logiciels libres) voire de leur forme (société, GIE, association, etc.).
p.101 Lorsqu’il s’agit de sociétés « utilisatrices poussées », elles peuvent faire
appel à des intégrateurs ou consultants pour mettre en place les solutions
open source dans leur SI – ce qui les place dans une situation analogue aux
utilisateurs standards, avec quelques spécificités relatives aux contrats passés avec ces prestataires. En l’absence de tels intermédiaires, il est aussi possible de se tourner vers des solutions
d’assurance (telle l’offre américaine
Open Source Risk Management proposée par la société OSRM).
p.102 Néanmoins, l’impact de l’utilisation des logiciels libres peut être lié à des politiques
stratégique ou économique particulières : par exemple en cas d’externalisation quasi totale du support, maintenance, veille open source à partir d’un SI
essentiellement composé de logiciels libres, ou, au contraire, lors de la mise en place d’une entité informatique interne qui gère le déploiement de solutions en logiciels libres au sein de toute la
structure (avec une vraie logique de service et d’édition). Dans toutes ces situations, les utilisateurs veillent à ce que les développements réalisés pour leur compte soient ensuite mis à
disposition du (et si possible intégrés dans) projet open source – gardant à l’esprit qu’il est généralement aussi cher de maintenir un composant logiciel
dans la durée que de le faire développer.
Les organisations à but lucratif et non lucratif
p.103En plus des acteurs précédents, on retrouve plusieurs types de groupements sur lesquels
s’appuient les projets libres et open source : ils sont commerciaux (tels les sociétés ou GIE) ou non (associations ou fondations), avec une personnalité
morale ou non (association de fait – fréquent lors du lancement d’un projet – ou consortium), voire multiples (tel OpenOffice.org qui reposait sur l’association TeamEV, mais dont les droits
de PI étaient gérés par Sun puis Oracle).
p.104 Les fondations et autres organisations à but non lucratif occupent une place prépondérante
dans le système du Libre. Elles peuvent être classées en deux catégories : celles qui
concourent directement au développement d’un logiciel et celles qui y concourent indirectement.
p.105 Les premières sont productrices de code, de créations (qu’elles soient ou non titulaires de
droits) :
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organisations avec base de code diversifiée (Linux Foundation, Apache Foundation, Eclipse Foundation, OW2 Consortium, Adullact) ;
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– |
organisations supportant une ligne de produits (Libreoffice, Mozilla.org, VideoLan, Genivi, Open Handset Alliance) ;
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communautés orientées technologie (FreeBSD, Ruby, Rails, Joomla).
|
p.106 Les secondes concourent indirectement au développement de projets (ne produisent pas de
code per se) :
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organisations fournissant des ressources organisationnelles (administratif, hébergement, conseil, etc.) aux projets (Software Freedom Conservancy, Eclipse, Linux
Foundation) ;
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organisations fournissant des ressources légales (Free Software Foundation, Open Source Initiative, Software Freedom Law Center, VVL) ;
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organisations de standards (W3C, IEEE, ODF Alliance, OSGI Alliance, ETSI) ;
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organisations de lobbying et de promotion (April, Aful, Framasoft, Open Source for America, Ubuntu-fr, Fedora Fr, Adullact, etc.)
|
Les centres de recherche
p.107L’implication et l’utilisation des logiciels libres par les centres de recherche sont si
importantes qu’il est impossible de ne pas considérer les centres de recherches (et, dans
une moindre mesure les universités) comme des acteurs à part entière du système que nous
décrivons (notamment pour au regard de leur recherche à application industrielle).
p.108Leur apport est néanmoins limité aux domaines directement liés à leur activité de recherche
et ils ne prennent ainsi qu’un rôle passif dans l’animation des communautés ou la proposition de services. Ainsi, et même si la situation semble évoluer, on s’aperçoit que leur action se limite
aujourd’hui au stade qui précède la valorisation de leurs projets Open Source : cette dernière phase étant réalisée par des sociétés existantes, partenaires ou non, ou nouvellement créées (le
transfert en faveur de spin off se multiplie).
3.2.1.2 Les relations entre le projet et les acteurs du système
p.109 Enfin, il est fréquent que l’intégrateur soit tenu de contribuer aux projets open source en fournissant les modifications réalisées pour le client : il s’agit là d’une sécurité tant pour le client qui s’assure ainsi que les versions ultérieures
du projet intégreront ces développements (et qu’il n’aura ainsi pas à le payer une seconde fois) que pour l’intégrateur qui ne souhaite généralement pas endosser la responsabilité d’un éditeur.
p.110 Chaque relation mérite néanmoins un examen dédié : entre un projet et ses utilisateurs
(3.2.1.2.a), entre un projet et ses contributeurs (3.2.1.2.b), entre le projet et les autres groupements (3.2.1.2.c) et entre les sociétés (3.2.1.2.d).
Les relations entre un projet et ses utilisateurs
p.111 Les utilisateurs sont les premiers destinataires des logiciels. Ils contribuent
généralement en livrant des retours sur leur expérience. Ils sont aussi souvent les premiers générateurs de valeur, le nombre d’utilisateurs d’un logiciel étant généralement un facteur multipliant la
valeur du logiciel vis-à-vis de ceux qui ne l’utilisent pas encore. La licence utilisée sur l’œuvre logicielle est souvent le seul document les intéressant et, au sein de ce dernier, seuls les droits
d’utilisation les concernent véritablement. Dans le cadre de certains projets, il arrive que des limitations s’ajoutent, en raison, par exemple, de composants commerciaux : l’utilisateur y
consentira alors lors du téléchargement, de l’exécution ou de l’installation du logiciel.
p.112 Ces utilisateurs peuvent néanmoins devenir clients, contributeurs et/ou partenaires
potentiels, voire concurrents du projet, et il est toujours utile de prévoir à leur attention des documents les informant de leurs droits et devoirs au terme de la licence, des conditions
d’utilisation des marques, logos et noms du projet, voire, s’il y a lieu, du processus leur permettant de contribuer au projet (ainsi que la politique du projet en matière de propriété
intellectuelle).
Exemple pratique
p.113Par application d’un effet de réseau, les logiciels libres gagnent en intérêt et
fonctionnalité au fur et à mesure que la communauté d’utilisateurs (et de développeurs) s’en approche. Ainsi, les utilisateurs de téléphones Android ont formé des projets, tel le projet
CyanogenMod, qui distribue des ROM optimisées pour de nombreux portables, permettant de bénéficier des dernières versions d’Android sur les
téléphones qui ne sont plus maintenus par leur constructeur. Cela grâce à la version communautaire du système d’exploitation Android qui est publiée par Google sous licence Apache (et sans embarquer
les applications propriétaires telles google maps, voice, search, etc.).
La collaboration avec les contributeurs
p.114Les caractères évolutifs et participatifs étant l’essence même du logiciel libre, il n’est
pas exclu que certains contributeurs souhaitent apporter leur lot de développements (envisagés sur un mode projet, en constante amélioration).
p.115Dans la situation d’un éditeur (ou la communauté qui revêt ce rôle) déjà identifié sur le
projet, il peut proposer plusieurs schémas de contribution qui conditionneront la reprise du code au sein du projet :
– |
lorsque ces développements concernent le logiciel lui-même, il est souvent demandé une cession globale (ou suffisante) des droits (il est aussi fréquent, au sein des
projets commerciaux, que les sociétés rachètent ou réécrivent les contributions qui les intéressent) ;
|
– |
lorsque ces développements portent sur des modules communautaires, les solutions sont généralement liées au choix initial de la licence du projet (mais il est aussi
possible que l’éditeur n’héberge ou ne maintienne la contribution qu’en cas de cession de droits ou d’une politique de licence précise.
|
p.116Dès les premières contributions au projet, il devient nécessaire d’avoir une réflexion
pointue sur la gestion de la propriété intellectuelle, donnant éventuellement naissance à une politique en la matière, que celle-ci soit très protectionniste ou au contraire très ouverte.
Les enjeux et problématiques liés à la détention des droits de propriété intellectuelle
p.117La question de la détention des droits de propriété intellectuelle, de la
« titularité », est d’une importance variable dans un projet open source. En fonction de la licence (surtout si cette dernière est copyleft) et du type de projets, la détention peut être cruciale en ce qu’elle confère un certain contrôle sur le projet (par exemple pour toutes les sociétés qui
pratiquent les doubles licences, dit dual licensing). Cette détention peut au contraire être très faible lorsque la licence choisie est très ouverte, lorsque le
projet est soumis aux licences de composants open source qu’il intègre, ou encore lorsque trop de contributeurs se partagent cette titularité.
p.118Pour remédier à cette division de la propriété, de nombreux projets recourent à des
politiques de licences spécifiques, de cession de droits ou de « copropriété libre » (chaque copropriétaire pouvant exploiter librement les droits détenus) : par le biais de
Contributor License Agreements, Copyright Assignment ou de Joint Copyright qui
conditionnent généralement la possibilité pour un développeur de voir sa contribution être acceptée dans un projet ou, dans le cadre professionnel, pour un client qui souhaite que ses développements
soient maintenus par le projet. C’est une politique que l’on retrouve à l’égard des salariés d’une société – qui sont aujourd’hui les principaux contributeurs, sur tout type de contenu.
p.119Inversement, afin de se prémunir face à un éventuel contrôle sur un logiciel libre du fait
de la détention des droits par un ou plusieurs, certains peuvent chercher à bloquer l’exercice de ces prérogatives en imposant une convention de copropriété (ou d’indivision) qui lie les parties
quant à l’exploitation conformément à la licence open source du projet.
Les
Contributor License Agreement,
Copyright Assignment ou de
Join Copyright
p.120Il est ainsi fréquent que le nombre de contributeurs (et donc de titulaires de droits)
dépasse la dizaine voire le millier. Leur anonymat ainsi que leur dispersion géographique sont parfois des obstacles infranchissables pour la suite du projet : l’absence de consentement d’un
seul interdit toute décision concernant la création dans son ensemble et la seule échappatoire reste alors de supprimer les contributions pour lesquelles il manque cette autorisation.
p.121C’est pour cette raison que, très tôt, certains développeurs ou organismes, telle la FSF,
ont mis en place des documents qui permettent aux contributeurs d’un projet soit de leur céder leur copyright – pour centraliser la prise de décision (notamment le changement de licence), la gestion, et la défense de l’œuvre – soit de leur consentir une licence très large. On
parle de Copyright Assignement en présence d’un vrai transfert (cession exclusive) de droits, la structure devenant la seule et unique titulaire de droit. On
parle de Contributor License Agreement lorsque le contrat opère une cession (non exclusive) très large au profit de la structure sans que le contributeur soit
lui-même dessaisi de ses prérogatives. Ils sont généralement doublés d’un second document à destination des employeurs lorsque les contributions sont réalisées dans un cadre salarial. Chacun de ces
contrats est rédigé en fonction de l’équilibre particulier du projet, de l’implication des contributeurs dans celui-ci et de la confiance dont bénéficie l’organisme collecteur.
p.122 Devant le constat de la multiplicité, de la diversité et de la complexité de ces documents,
de nombreux industriels, professionnels et associations du libre ont formé un groupe de travail pour plancher sur la rédaction de documents types à destination des communautés et entreprises :
leur épargnant un travail d’écriture en même temps qu’ils épargnent à leurs utilisateurs-contributeurs un travail de lecture (et de compréhension). Le
projet Harmony, s’il permet de mutualiser les politiques auparavant éclatées, ne résout néanmoins pas la difficulté du rapport que cela génère entre les parties, les uns voulant un engagement fort des contributeurs – notamment par le biais de
clauses de responsabilité et de garantie –, les autres voulant un engagement fort des collecteurs – notamment quant à l’exploitation des contributions.
p.123Par ailleurs, ces contrats ne sont réellement fiables qu’en cas de certitude quant à
l’identification du contributeur. C’est la raison pour laquelle la Free Software Foundation (mais Mozilla aussi) envoie un contrat papier qu’il convient de retourner signé. De même, l’Eclipse
Foundation à mis en place un processus complet visant à sécuriser les relations entre les différents acteurs (
Eclipse Legal Process).
La collaboration avec d’autres groupements
p.124Il est très fréquent que les différents projets ou organisations se réunissent pour
travailler de concert sur des projets communs : soit qu’ils aient des compétences ou expériences complémentaires, transverses (tels les aspects juridiques liés aux licences et aux brevets), soit
qu’ils mettent en commun leurs forces pour le développement d’une solution plus vaste.
La collaboration entre sociétés
p.125 Une société éditrice de logiciels qui met en place son modèle commercial prend généralement
en considération ses partenaires, ses concurrents et ses clients. Il est assez simple de séparer les uns des autres : la société est liée par contrat avec ses partenaires (distributeurs,
revendeurs, etc.) et ses clients (contrats souvent négociés pour les premiers et imposés pour les seconds), et n’entretient que des relations contractuelles exceptionnelles avec ses
concurrents.
p.126 Les licences libres modifient cet ordre puisqu’elles s’adressent autant aux individus
– personnes physiques – qu’aux entreprises commerciales. Ainsi, les concurrents comme les partenaires pourront en revendiquer le bénéfice, leur permettant notamment d’utiliser ou de
proposer des services autour des logiciels édités par un autre avec pour seule limite le respect de la licence libre du projet et éventuellement de la politique de marque.
p.127 On peut y voir un paradoxe puisque les partenaires risquent d’être « moins
libres » que les concurrents, du fait de clauses supprimant le bénéfice de la licence, qui peuvent être comprises dans leurs engagements avec l’éditeur.
Gérer les risques de
fork
p.128 On parle de fork lorsqu’une partie d’une communauté
décide de s’éloigner du projet principal pour en développer une version différente. De manière générale, les forks préjudicient à tous : l’ancienne et la
nouvelle communautés, les utilisateurs et les projets.
p.129 C’est la raison pour laquelle il est généralement conseillé d’augmenter l’investissement
dans un projet plutôt que d’initier son propre projet.
De StarOffice à LibreOffice
p.130Récemment, la communauté d’OpenOffice.org s’est détachée du projet pour proposer sa propre
version (nommée LibreOffice) au sein d’une fondation créée à cet effet : la Document Foundation. Cette dernière abrite le code de LibreOffice, mais aussi de tout autre produit qui souhaiterait
dériver de ses sources. Lors de la formation du projet OpenOffice.org en 2000, la mise en place d’une telle fondation avait été annoncée par Sun. Dix ans après, et pour se protéger de la nouvelle
politique commerciale imposée par Oracle (qui a racheté Sun) sur ses produits, les principaux responsables communautaires du projet ont pensé qu’il était temps de monter une fondation vraiment
indépendante. Il n’y a pas de rupture avec le projet, simplement une communauté suffisamment mature pour prendre son destin en main et ne plus dépendre d’un décideur unique. LibreOffice (ou LibO) est
une suite bureautique, développée par la fondation, qui s’appuie sur les sources d’OpenOffice.org et contient des patchs fournis par ses contributeurs (les plus assidus étant Novell, Red Hat et
Debian, mais il y en a de plus en plus chaque jour).
p.131Quelques mois après ces évènements et pour répondre à une demande forte d’IBM, Oracle a
« donné » son code et ses marques à la fondation Apache qui distribue ainsi OpenOffice.org sous licence Apache.
p.132 Il faudrait certainement se projeter dans quelques années pour mesurer l’impact de ce
fork (sur l’entreprise, les communautés, voire, plus globalement, le projet global), mais beaucoup y voient une excellente nouvelle et de nombreux concurrents
d’Oracle commencent à retrouver un intérêt dans le développement de cette version dont le succès dépendra de tous et non plus majoritairement d’une société (ne serait-ce que par la détention du
patrimoine immatériel). Gageons aussi que cette « insurrection » sera perçue comme une épée de Damoclès pour toute société qui chercherait à trop contrôler un projet qui se veut ouvert.
Espérons aussi que les deux projets parviennent à mutualiser leurs efforts.
3.2.2 Organiser la diffusion (accompagner l’ouverture du code)
p.133L’organisation de la diffusion est souvent la clé qui assure la pérennité d’un projet, sa
stagnation ou son abandon. Malheureusement, il n’y a pas une organisation idéale, une structure parfaite, mais uniquement des cas d’espèce. Pour une entreprise, cela implique de se reposer sur un
ensemble hétérogène de personnes au sein de l’entreprise qui perçoivent les enjeux de l’open source et qui s’assure du respect des licences.
p.134Ainsi, que ce soit pour ce seul projet ou pour une multitude, il est nécessaire d’entamer
une telle réflexion et, une fois les besoins identifiés, d’organiser l’accompagnement – que ce soit en interne ou en externe.
3.2.2.1 Gérer les licences libres
p.135La mise en place d’une bonne gestion des licences libres passe nécessairement par une étude
des enjeux pour la société et/ou le projet (3.2.2.1.a), la définition des besoins (3.2.2.1.b) et l’organisation de l’accompagnement (3.2.2.1.c).
Mesurer les enjeux liés au respect des licences
p.136Quelles sont les sanctions juridiques, mais aussi commerciales ou marketing, susceptibles de
découler du non-respect des licences libres ? De nombreuses sociétés, pourtant importantes, ont ainsi dû baisser l’échine face aux actions des communautés qui leur reprochaient l’absence de
prise en compte des licences sur des composants utilisés (ce qui inclut
BestBuy,
Westinghouse et
Cisco). Ajoutons que les titulaires de droits, généralement seuls aptes à faire respecter leur licence, ont
tendance à les accompagner l’utilisation de leur logiciel
open source).
p.137En effet, tout non-respect de licence emporte le risque de se voir qualifier de
contrefacteur : tout usage n’entrant pas dans le cadre de la licence est un usage non autorisé et donc contrefaisant. Par ailleurs, en cas de violation, par certains usages de droits de
propriété intellectuelle, ou plus fréquemment, du non-respect du formalisme de la licence, celle-ci sera généralement automatiquement résiliée et l’ancien licencié se trouvera rapidement
contrefacteur pour tout usage de la création. Cela vaut pour l’entreprise mais aussi pour ses clients et partenaires qui redistribuent les logiciels« non conformes » (on perçoit d’ailleurs une telle
prise de conscience en Asie).
p.138Au minimum (mais ce n’est pas toujours vrai), il est possible de considérer que lors de
l’utilisation d’un composant open source sans modification, la simple redistribution (tel qu’il a été reçu) devrait suffire. Au contraire, une démarche plus
lourde serait nécessaire en cas de modification. La solution la plus fiable est néanmoins de mettre en place un formalisme générique, construit sur le modèle de la licence la plus contraignante, de
manière à ce que son respect suffise pour remplir les attentes classiques de l’ensemble des licences. Enfin, des procédures particulières peuvent être élaborées afin de prendre en compte les
spécificités des utilisateurs (professionnels du métier ou non, de nationalité précise, etc.) ou du domaine d’exploitation (embarqué, SaaS, etc.).
Définir les besoins
p.139En fonction des enjeux, plusieurs besoins peuvent être identifiés :
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la mise en place de bonnes pratiques (guidelines). Il s’agit ici de l’édiction de procédures relatives au respect du formalisme
des licences ainsi qu’une procédure associée à l’usage de toutes nouvelles licences/composants open source. Celles-ci permettraient par ailleurs de rendre
transparente la gestion des droits de propriété intellectuelle tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la société ;
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la mise en place d’une veille relative aux licences, pratiques afférentes et outils d’audit de codes (il est en effet important de rester connecté aux usages qui se
développent, voire d’y confronter ses nouvelles pratiques, afin de se tenir informé tout en conservant un regard critique) ;
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la création d’un support relatif aux questions liées à l’utilisation des licences ou autres questions juridiques. Il s’agit ici des problématiques liées à l’ajout de
licences et aux enjeux de compatibilité, mais un support juridique étendu peut permettre de résoudre certaines difficultés liées à la propriété intellectuelle ou à d’autres dispositions légales
(comme l’exportation de certains produits) ;
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une procédure d’audit de codes. Pour ce faire, il peut être très utile d’utiliser les outils réalisés pour faciliter ces missions : notamment le logiciel
open source Fossology qui peut permettre un examen systématique de code et l’outil commercial Protex de la société Black Duck qui offrira une analyse beaucoup
plus poussée. Les deux solutions peuvent utilement être combinées : la première étant systématique et la seconde préalable à certaines mises à dispositions ou distributions du
code ;
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la labellisation de composants et de licences. Cette politique de labellisation permettrait d’accélérer la réutilisation de composants, modifiés ou non, déjà audités
et considérés comme conformes à la politique du groupement (techniquement et juridiquement), alors que le suivi d’une procédure particulière obligatoire accompagnerait l’utilisation de composants non
encore certifiés. La même pratique pourrait être élaborée au profit des licences libres et open source a priori
considérées comme « conformes à la politique du projet/du groupement ». Une procédure particulière serait alors attachée à l’acceptation de composants open
source soumis à d’autres licences (de nombreuses sociétés ont ainsi constitué en leur sein de tels catalogues de composants open source, éventuellement
aidées pour cela par des logiciels comme l’outil Code Center de la société Black Duck).
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Organiser l’accompagnement
p.140À ce stade, il s’agit de définir quelles sont les tâches qui peuvent être externalisées et
quelles sont celles qui doivent être conservées en interne.
La création d’une structure
ad hoc
p.141Une externalisation totale semble difficile en raison de l’interpénétration des notions
juridiques et techniques d’une part, et de la criticité de ces enjeux d’autre part. Tout au plus est-il possible de penser à l’intervention de tiers quant à l’audit initial (en cas de solution
préexistante), à l’édiction d’une gouvernance, voire en préalable à toute distribution – pour le reste, une personne, voire une équipe interne, doit être référente afin de résoudre (ou
transmettre à cette fin) les difficultés qui se présentent à elle et « infuser » les bonnes pratiques. Une solution intermédiaire pourrait être de rejoindre une structure plus grande (comme
une fondation) qui permette de mutualiser une partie de la fonction.
p.142L’internalisation elle-même peut prendre différentes formes, qu’il s’agisse de créer une
entité ad hoc (référent open source, comité open source, etc.) ou de modifier les
structures existantes pour y intégrer ces besoins, notamment par l’intégration de règles générales, comme la définition de politique en matière de licences, la validation de paquets logiciels, etc..
De nombreux paramètres entrent dans cette équation, mais il est généralement conseillé, lorsque la taille le permet, de commencer par la mise en place d’entités autonomes, de sorte qu’elles
s’éclipsent une fois la nouvelle culture infusée et les réflexes intégrés – au risque sinon de buter sur la résistance des collaborateurs (surtout dans le cas du passage d’une politique de
licence traditionnelle à une politique ouverte : la longue domination du paradigme antérieur, engendrant de nombreux réflexes et habitudes profondément ancrées, peut entraîner le rejet
irrationnel de ce mode alternatif d’édition).
p.143Quelle que soit l’organisation choisie, il est nécessaire que cet accompagnement s’appuie
sur des relais locaux (scouts), des correspondants aptes à faire remonter et redescendre les informations utiles.
p.144À la fois structure de référence et structure inter-services, un tel organisme permet de
mutualiser le travail d’accompagnement, de rationaliser les décisions, de définir des politiques globales et d’automatiser le traitement des questions. Par ailleurs, pour qu’une telle structure
puisse être suivie d’effet, il est nécessaire qu’elle soit facilement joignable, qu’elle bénéficie d’un pouvoir décisionnel et, dans l’idéal, qu’elle soit suivie par un membre de la direction. Enfin,
elle seule doit être consultée pour autoriser et décider de l’utilisation de briques logicielles sous licences libres et open source et de la diffusion sous de
telles licences (quitte à ce que ses décisions soient avalisées par la direction).
Gérer les contributions au sein de la société
p.145 Comme nous l’avons vu, les licences s’étendent graduellement à l’ensemble des droits de
propriété intellectuelle. Une vigilance accrue s’observe donc chez les sociétés qui mixent une culture libre (open source) et propriétaire : l’enjeu est
alors de délimiter très précisément (généralement par des politiques open source très soignées), voire de cloisonner, les portefeuilles de droits relatifs au
projet afin de s’assurer que l’activité open source ne vienne pas impacter et dévaloriser certains droits de propriété intellectuelle qui restent très
attractifs pour la société.
p.146 C’est ce type d’attention qui explique par exemple la renonciation au bénéfice de la
dévolution légale de droits relative à certains développements qui doivent être reversés à des projets placés sous des licences trop contraignantes (au profit des salariés qui conservent ainsi leurs
droits). De la même façon, une responsabilité particulière pèse sur les services
juridiques qui doivent s’assurer que les engagements contractuels avec les sous-traitants, fournisseurs, etc. soient bien respectés et maintenus lors de la diffusion sous licence libre et
open source.
p.147 Pour une société, il arrive parfois qu’il soit plus simple, voire nécessaire, d’envisager
un cession de droits au profit de projets qui assureront le maintient et l’intégration des différentes contributions. Dans cette solution, tant l’entreprise que le salarié seront généralement
signataires d’un document de cession de droits au profit du projet. Il peut aussi être envisagé, lorsque la mission du salarié l’exige ou en raison du contrat particulier qui le lie à la société, que
celle-ci lui délègue le pouvoir de mettre sous licences libres les contributions réalisées dans le cadre de ses missions salariales : le risque est faible pour l’entreprise lorsque celui-ci
travaille dans un tel environnement, et cela lui permettra de sécuriser les contributions de son salarié vis-à-vis des communautés et des projets dans lesquels il intervient.
Faire travailler ensemble les différentes équipes
p.148De façon pragmatique, lorsque l’on exploite du contenu sous licence libre en entreprise ou
ailleurs, il est nécessaire d’adapter la procédure de validation juridique et contractuelle, l’analyse devant être réalisée autant en amont des projets qu’en aval. Un travail est nécessaire dès en
amont afin de déterminer la faisabilité juridique des propositions techniques et s’assurer que les engagements puissent être respectés (en gardant en tête le leitmotiv : « on ne peut donner
plus de droits que l’on en possède », c’est d’ailleurs cette seule idée qui ressort des contentieux français ayant mis en jeu la GNU GPL). Enfin, une dernière étude juridique est nécessaire en
aval pour confirmer le choix final de la licence et procéder, s’il y a lieu, aux ajustements contractuels en fonction du produit, des attentes et bien évidemment des licences en présence.
p.149Ainsi, ce travail ne peut être mené que conjointement entre l’équipe technique, seule apte à
fournir les informations détaillées sur le logiciel, et l’équipe juridique. Les données brutes nécessaires à l’étude juridique sont : le détail des briques logicielles utilisées, leur(s)
licence(s) respective(s) (comprenant leur version, et toute autre information influant sur ces licences : restriction, interprétation, exception, etc.), et enfin les interactions existantes
entre chacune de ces briques (en pratique, un schéma). Un dialogue s’établit par la suite pour affiner les derniers détails, et de nombreuses navettes permettront de compléter l’analyse.
p.150D’une manière plus générale, le succès d’une politique active en faveur de l’open source repose sur une implication de l’ensemble des collaborateurs dans le processus de restructuration et une montée des compétences de ces derniers afin qu’ils
comprennent et partagent ce nouveau paradigme : par l’organisation de formations, la rédaction et la mise à disposition des informations qui leurs sont utiles, l’organisation de leurs
contributions au sein de chartes (contribution, développements, processus de validation, etc.).
S’équiper avec de bons outils
p.151 Enfin, l’usage de certaines solutions logicielles peut simplifier, voire
approfondir cette mission, en automatisant l’audit de code voire la gestion au quotidien de la base de code validée. Tous les outils ne sont pas équivalents, et tous n’ont pas
vocation à être utilisés au même moment ou par les mêmes personnes (dans le cadre de due diligence, les audits demanderont ponctuellement l’utilisation d’outils
très poussés, alors que la vérification automatique et journalière des développements réalisés pourra être plus superficielle).
p.152Enfin, le projet
Software Package Data
Exchange (
SPDX) a récemment
introduit un format standard pour communiquer les éléments, les licences et droits d’auteur associés à un logiciel (et ainsi faciliter la prise de connaissance des obligations et le respect des
licences). Ainsi, chaque société ayant réalisé ce travail d’audit pourra dorénavant accompagner la livraison de son logiciel d’un fichier SPDX qui recensera tous les composants utilisés et leur(s)
licence(s).
3.2.2.2 Gérer les autres aspects juridiques
p.153Comme vu précédemment, différents documents peuvent être mis en place pour accompagner
l’organisation vis-à-vis des tiers et notamment pour donner un cadre formel à la collaboration (3.2.2.2.a), et la rédaction d’une politique en matière de marque précise à l’intention des tiers
et des licenciés (3.2.2.2.b).
Structurer le projet
p.154Que le projet soit ouvert ou fermé, la mise en place d’un cadre propice à son développement
et son exploitation nécessite une réflexion quant à l’organisation du groupement autour du projet et vis-à-vis des tiers.
p.155Tant que l’organisation du projet est suffisamment attractive pour motiver des contributions
extérieures et qu’il répond aux contraintes des mainteneurs, il n’y a aucune raison de changer celle-ci.
p.156Si le projet souhaite s’ouvrir de manière à impliquer plus de contributeurs, plusieurs
schémas peuvent être construits pour organiser les développements collaboratifs, avec leurs avantages et inconvénients (création d’une entité juridique distincte, mise en place d’un consortium,
l’appui d’un partenaire leader – voire une absence délibérée). Notons que la mise en place d’un consortium est la solution la plus légère (généralement la première utilisée par les sociétés qui
cherchent à collaborer en raison de la faiblesse de l’engagement), éventuel premier jalon d’une autonomisation quasi-systématique des projets dès lors qu’ils gagnent en contributeurs.
p.157Dans l’hypothèse de la libération d’un projet, il est préférable de structurer un minimum
dès le début (donner simplement l’accès au code et le processus pour contribuer) quitte à mettre ensuite en place une organisation adaptée.
p.158 Enfin, la gouvernance des groupements est généralement découpée entre les aspects
stratégiques, les aspects techniques et les aspects communication/sensibilisation (lien avec les utilisateurs et la communauté).
Les politiques en matière de marque
p.159Le droit des marques retrouve toute sa noblesse dans l’industrie de l’open source, puisqu’il reste bien souvent le meilleur garde-fou pour empêcher certains types d’exploitation d’un projet qui est pourtant librement disponible (notamment en
termes d’image, mais aussi de comportement commercial). Néanmoins, il est parfois nécessaire de relativiser l’usage qui peut en être fait au regard des prérogatives qu’il confère à son titulaire, car
la tentation est grande pour certains d’essayer de récupérer là un contrôle qu’ils ont abandonné en faisant le choix de l’open source.
p.160Ainsi, les politiques en matière de marque sont généralement des documents publics qui
précisent quelles sont les marques détenues par le projet et les conditions de leur utilisation : une seule marque pouvant être utilisée différemment selon le contexte (lorsque la création est
modifiée ou non) ou plusieurs marques pouvant être utilisées pour différencier les usages permis sur chacune (par exemple en autorisant seulement les partenaires à utiliser la marque
figurative).
p.161Les meilleurs exemples existants, à cet égard, sont ceux des projets du type OpenOffice.org,
LibreOffice, Firefox, Linux, etc. qui réunissent à la fois entreprises, associations et fondations, contributeurs individuels et grand public.