p.1La propriété industrielle est la branche de la propriété intellectuelle destinée, comme son nom
l’indique, à l’industrie. Elle procède d’une logique incitative et de retour sur investissement originellement absente au sein de la propriété littéraire et
artistique, mais introduite par l’avènement de l’industrie musicale. Une autre différence fondamentale réside dans le dépôt, qui est constitutif d’un droit en
propriété industrielle alors qu’il n’a qu’une valeur probatoire au sein de la propriété littéraire et artistique. Enfin, comme tous les autres droits de propriété intellectuelle, la protection de ces
titres est territoriale, c’est-à-dire valable pour un territoire déterminé, et de nombreux accords viennent harmoniser cette protection.
p.2Quelques chiffres : en 2010 l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) a
enregistré 16 580 dépôts de brevets (3,6 % de plus qu’en 2009), et 91 928 dépôts de marques (13,3 % de plus qu’en 2009), l’Office européen des brevets (OEB) a enregistré 235 000 demandes de brevets (soit 11 % de plus qu’en 2009 et 39 % de plus qu’en 2008) et, pour l’Office d’enregistrement des marques et des dessins ou modèles de l’Union
européenne (OHMI),
98 000 dépôts de marques communautaires. On s’aperçoit que le nombre de personnes
physiques déposantes françaises est en diminution depuis au moins 2004 au bénéfice des
personnes morales (des entreprises, mais aussi de plus en plus d’organismes de recherche).
Véritable marotte des responsables d’évaluation, l’intérêt que présente la propriété industrielle est en réalité inégal en fonction des domaines et secteurs (les deux plus productifs étant ceux du
médicament et de l’électronique). Nous sommes donc face à une croissance très forte du nombre de dépôts et de titres reconnus.
p.3La propriété industrielle contient trois types de droits : les créations fonctionnelles (il s’agit des brevets, des certificats d’obtentions végétales et du droit des topographies de produits semi-conducteurs), les signes distinctifs (droit des
marques, mais aussi appellations d’origine et indications de provenance) et enfin ceux qui protègent des créations industrielles à vocation esthétique (dessins et modèles).
p.4L’analyse suivante détaillera les titres portant sur les inventions (2.1), les topographies de
produits semi-conducteurs (2.2), les variétés végétales (2.3), les signes distinctifs (2.4) et les dessins et modèles industriels (2.5).
2.1 Les brevets et certificats d’utilité délivrés sur des inventions
p.5Avant l’apparition des brevets, le secret permettait d’assurer un monopole aux seules personnes qui
détenaient les clés de l’invention. Ainsi, Pythagore interdisait à ses disciples de divulguer leurs secrets, allant jusqu’à faire mettre à mort l’élève ayant trahi son silence.
p.6Ce n’est donc que bien plus tard qu’apparut le « premier brevet » au travers de la
parte veneziana à Venise (1474). Le décret du 19 mars
1474 posa ainsi les fondements de notre brevet actuel :
p.7 Il y a dans cette cité et dans ses environs, attirés par son excellence et sa grandeur, de nombreux
hommes de diverses origines, à l’esprit des plus inventifs et capables d’imaginer et de découvrir des machines variées et ingénieuses.
p.8S’il était stipulé que personne d’autre ne pourrait s’approprier leurs travaux pour accroître sa
propre réputation ou fabriquer les machines imaginées par ces hommes, ces derniers exerceraient leur ingéniosité, et découvriraient et fabriqueraient des choses qui ne seraient pas d’un mince intérêt
et d’un mince avantage pour notre État.
p.9Il est en conséquence promulgué par l’autorité de ce corps que quiconque dans cette cité fabrique
une machine nouvelle et ingénieuse, qui n’avait jamais auparavant été fabriquée dans les frontières de notre juridiction, est tenu de l’enregistrer au bureau des Provveditori di Comun dès qu’elle a été mise au point, afin qu’il soit possible de l’utiliser. Il sera interdit à toute autre personne de notre territoire de faire une
autre machine identique ou ressemblante à celle-ci sans l’accord ou la licence de l’auteur, pendant dix ans.
p.10Si quelqu’un le fait, l’auteur aura la possibilité de l’assigner devant tout service de cette
cité, qui pourra faire payer cent ducats au contrevenant, dont la machine sera détruite. Toutefois notre gouvernement pourra, s’il le désire, confisquer pour son propre usage toute machine ou
instrument, à la condition que personne d’autre que les auteurs ne puisse les utiliser.
p.11
p.12
p.13En France, l’assemblée révolutionnaire formalisa, par la loi du 7 janvier 1791, les brevets
destinés à protéger et favoriser l’innovation dans le secteur industriel. L’assemblée institue donc que
p.14Toute idée nouvelle, dont la manifestation ou le développement peut devenir utile à la société,
appartient primitivement à celui qui l’a conçue, et que ce serait attaquer les droits de l’homme dans leur essence que de ne pas regarder une découverte comme la propriété de son auteur.
p.15L’élément légitimant la reconnaissance de ce monopole est la divulgation de l’invention au
public, monopole économique à l’inventeur contre connaissance à la société, la publication des brevets étant automatique dix-huit mois après la date de priorité ou du premier dépôt.
p.16Au regard des objectifs du projet, les brevets peuvent donner une envergure industrielle qui
constitue, quelle que soit leur robustesse, un levier de négociation important vis-à-vis de partenaires industriels, notamment dans des secteurs liés au matériel, tel le secteur du mobile et de
l’embarqué Dans ces derniers, le caractère incitatif du brevet est beaucoup plus contesté que dans ceux, par exemple, du logiciel ou des biotechnologies. Paradoxalement, la meilleure défense, bien
que limitée, contre la prise de brevet sur une invention ou un procédé est la publication systématique. Elle crée une antériorité qui bloque définitivement toute prise ultérieure de brevet sur ce
procédé ou produit.
p.17Inégalement connus, deux titres peuvent confèrer un monopole sur des inventions
brevetables : le brevet (2.1.1) et le certificat d’utilité (2.1.2).
2.1.1 La délivrance de brevets sur des inventions
p.18L’invention, potentiellement brevetable, sera considérée comme un bien sans maître jusqu’au jour
de la demande. Au moment de son dépôt, elle donnera lieu, si elle est qualifiée d’invention brevetable (2.1.1.1) à la délivrance d’un titre qui confère à son titulaire un monopole relatif
(2.1.1.2).
2.1.1.1 La qualification d’inventions brevetables
p.19Comme tout droit de propriété intellectuelle, les brevets portent (en théorie) sur un objet bien défini (2.1.1.1.a) qui doit répondre à un certain nombre de critères prévus par
la loi (2.1.1.1.b) et vérifiés lors du dépôt (2.1.1.1.c).
Objet
p.20Le brevet est un titre qui porte sur une invention. Cette notion, non définie par le législateur qui ne voulait pas priver du bénéfice du brevet des domaines inconnus à l’époque, est
aujourd’hui considérée comme recouvrant toute solution technique à un problème technique.
p.21Certaines inventions sont expressément exclues de la
brevetabilité :
– |
les idées ;
|
– |
les découvertes, les théories scientifiques et les méthodes mathématiques ;
|
– |
les créations esthétiques et ornementales ;
|
– |
les plans, principes et méthodes ;
|
– |
les programmes d’ordinateur ;
|
– |
les obtentions végétales (variétés nouvelles créées ou découvertes) qui peuvent être protégées par un certificat d’obtention végétale ;
|
– |
les races animales ;
|
– |
les procédés essentiellement biologiques d’obtention de végétaux ou d’animaux ;
|
– |
les inventions contraires à l’ordre public ou aux bonnes mœurs ;
|
– |
les procédés de clonage, de modification de l’identité génétique de l’être humain ;
|
– |
les utilisations d’embryons humains à des fins industrielles ;
|
– |
les séquences de gènes humains en elles-mêmes.
|
p.22Les programmes d’ordinateur sont expressément écartés du champ de la brevetabilité en Europe. Néanmoins, toutes ces exclusions ne font pas l’unanimité dans le monde. Le Japon et les
États-Unis autorisent notamment les brevets sur des logiciels voire parfois dans le
domaine du vivant. Par ailleurs, nos offices (nationaux et l’Office européen des brevets) se sont progressivement émancipés de cette prohibition en autorisant le dépôt de brevets sur les inventions mises en œuvre par ordinateur, ou lors de leur intégration à un processus physique dans un produit industriel, tel que le système ABS dans les automobiles.
Ainsi, l’existence de tels titres en Europe est bien réelle, mais ne préjuge en aucun cas de leur validité qui reste contestable devant les tribunaux.
p.23De la même façon, le corps humain, aux différents stades de sa constitution et de son
développement, ainsi que la simple découverte d’un de ses éléments, y compris la séquence totale ou partielle d’un gène, ne peuvent constituer des inventions brevetables. Néanmoins, une invention constituant l’application technique d’une fonction d’un élément du corps
humain peut être protégée par brevet. Cette protection ne couvre l’élément du corps humain
que dans la mesure nécessaire à la réalisation et à l’exploitation de cette application particulière.
Critères
p.24Enfin, pour qu’un brevet soit accepté, il faut répondre à un certain nombre de
critères :
– |
être en présence d’une invention (solution technique à un problème technique) ;
|
– |
la nouveauté :
rien d’identique n’a jamais été accessible à la connaissance du public, par quelque moyen que ce soit (écrit, oral, utilisation…), où que ce soit, quand que ce soit. L’état de la technique regroupe
tout ce qui a été rendu accessible au public avant la date de dépôt de la demande de brevet par une description écrite ou orale, un usage ou tout autre moyen, et le contenu de demandes de brevet
français et de demandes de brevet européen ou international désignant la France qui ont une date de dépôt antérieure ;
|
– |
l’activité inventive : l’invention ne doit pas découler de manière évidente de l’état de la technique, pour une personne
connaissant le domaine technique concerné (on parle de l’homme du métier) ;
|
– |
être susceptible d’application industrielle : l’invention doit avoir une finalité technique (donc ni esthétique ni
commerciale ou économique) qui induit notamment qu’elle peut être utilisée ou fabriquée dans tout genre d’industrie, y compris l’agriculture (ce qui exclut les œuvres d’art ou d’artisanat, par exemple).
|
p.25Ces critères sont plus précis et exigeants que ceux de l’
US patent law où toute chose nouvelle et utile créée par l’homme peut faire l’objet d’un
brevet (critères similaires à ceux de la première loi sur les brevets d’invention,
Statute of monopolies, votée par le Parlement anglais en 1623).
Le dépôt
p.26Le dépôt de l’invention auprès d’un office compétent (l’Institut national de la propriété
industrielle, INPI, en France ou l’Office européen des brevets, OEB, en Europe) est nécessaire à l’acquisition du titre.
p.27L’INPI, établissement public doté de la personnalité civile et de l’autonomie financière placée
auprès du ministre chargé de la propriété industrielle, a en charge la réception des
dépôts, l’examen des demandes et la délivrance des titres. Ses recettes se composent principalement des redevances perçues lors des dépôts de titre.
p.28Il a pour mission de « centraliser et diffuser toute information nécessaire pour la protection
des innovations et pour l’enregistrement des entreprises, (…), de pourvoir à la réception des dépôts de demandes des titres de propriété industrielle ou annexes à la propriété industrielle, à leur
examen et à leur délivrance ou enregistrement et à la surveillance de leur maintien (…) », et enfin de proposer « au ministre chargé de la propriété industrielle toute réforme qu’il estime
utile en ces matières (…) ». Il délivre de multiples titres de propriété industrielle : brevets, marques, dessins et modèles, et topographie de semi-conducteurs. Seuls sont compétents
devant l’Office les demandeurs ou leur conseil en propriété intellectuelle (CPI, fonction similaire à celle d’avocat). Si le brevet est déposé par plusieurs personnes, la représentation par un
mandataire est obligatoire.
p.29Le rôle de l’INPI consiste à s’assurer que la description complète de l’invention et de la
manière de la reproduire, soit effectivement incluse dans le brevet, de manière à ce que celle-ci participe à l’état de l’art et que cette technologie soit effectivement disponible à tous à
l’expiration du brevet. L’examen se compose de l’établissement d’un rapport de recherche, la publication de la demande de brevet (avec la réception éventuelle d’opposition) et enfin la délivrance du
brevet. Le directeur de l’INPI prend les décisions concernant les demandes de dépôt et d’enregistrement, l’appel étant possible devant la cour d’appel de Paris.
p.30Fruit de la Convention de Munich (convention sur la délivrance des brevets européens (CBE) de
1973, signée par la France en 1977), l’OEB est une organisation intergouvernementale qui accorde des brevets au niveau européen, c’est-à-dire à tous les pays membres de l’Union européenne plus la
Suisse, la Liechtenstein, la Turquie, Monaco, et l’Islande. Lors de leur dépôt, les demandeurs désignent les pays pour lesquels la protection est demandée et, une fois la recherche d’antériorité
réalisée, la demande initiale se divise en un bouquet de demandes nationales. La procédure est similaire à celle de l’INPI : examen du dépôt, recherche d’antériorité, publication (dix-huit mois
après la date de dépôt), délivrance (avec opposition possible dans les neuf mois). Néanmoins, une fois le délai de neuf mois écoulé, seules les diverses instances nationales permettent d’attaquer ces
brevets.
p.31Dans les douze mois, la demande initiale pourra éventuellement être étendue à d’autres
territoires en vertu du droit de priorité issu de la Convention de Paris et du Traité de coopération en matière de brevets (PCT pour Patent Cooperation Treaty). Ce droit de priorité met en place une
procédure simplifiée qui permet le dépôt de brevet au niveau international grâce à un seul dépôt auprès de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI). Le Bureau international
confie alors la recherche d’antériorité à l’un des offices principaux (OEB, United States Patent and Trademark Office (
USPTO), ou Japan Patent
Office (
JPO)), publie les résultats et transmet aux bureaux nationaux ou régionaux des territoires où la protection est souhaitée. Eux seuls
décident
in fine de délivrer, ou non, le brevet.
2.1.1.2 L’équilibre du brevet
p.32Le brevet étant un droit à destination des professionnels, les intérêts de ces derniers sont
pris en compte de sorte à apporter l’équilibre entre leur monopole (2.1.1.2.a) et les libertés bénéficiant à la société (2.1.1.2.b).
Le monopole de l’inventeur/déposant
p.33La propriété industrielle pose comme principe que le titulaire est la première personne qui
dépose la demande du titre. Néanmoins, lorsque l’inventeur est un salarié (90 % des
inventions brevetées sont le fait d’inventeurs salariés – indifféremment sous un
contrat de droit public ou privé), le droit au titre de propriété industrielle pourra, dans certaines situations, appartenir à l’employeur (qui aura alors le dépôt à sa charge) :
1. |
lorsque les inventions sont réalisées par le salarié dans l’exécution soit d’un contrat de travail comportant une mission
inventive (qui correspond à ses fonctions effectives), soit d’études et de recherches qui lui sont explicitement confiées. L’invention appartient à
l’employeur et le salarié touche une rémunération supplémentaire ;
|
2. |
lorsqu’une invention est réalisée par un salarié soit dans le cours de l’exécution de ses fonctions, soit dans le domaine des activités de l’entreprise, soit par la connaissance ou l’utilisation des techniques ou de moyens spécifiques à
l’entreprise, ou de données procurées par elle. L’employeur a une sorte de droit de préférence qui lui permet de se faire attribuer la propriété ou la jouissance de tout ou partie des droits attachés au brevet protégeant l’invention de son salarié et le salarié pourra prétendre à un juste prix ;
|
3. |
pour toutes les autres inventions, l’employeur n’a aucun droit. En revanche le salarié doit toujours informer son employeur qui
en accuse réception (cette transparence évite de léser l’une ou l’autre des parties).
|
p.34Les revendications définissent l’objet de la protection demandée. Elles sont généralement
rédigées par le conseil en propriété industrielle, qui se base sur la description fournie par l’inventeur ou rédigée à partir des informations transmises par ce dernier. Assurant la divulgation qui
permet le versement de la connaissance à l’état de l’art, elles doivent être claires et compréhensibles. Cet impératif rend d’autant plus critiquable le choix de privilégier certaines langues
seulement (anglais, français et allemand) pour le brevet européen, puisqu’il fait passer le coût initialement assumé par les détenteurs de brevets vers toutes les entreprises tierces qui souhaitent
accéder à l’information pour s’en inspirer ou éviter d’être contrefactrices.Le monopole sur l’exploitation économique de l’invention est accordé pour vingt années à compter du jour de dépôt de la
demande, à la condition d’une redevance progressive annuelle.
p.35Ainsi, dès la publication du brevet, le titulaire, par son droit exclusif d’exploitation, peut interdire :
– |
la fabrication ou la mise sur le commerce du produit contrefait ;
|
– |
l’utilisation (de mauvaise foi) d’un procédé contrefait ;
|
– |
l’exploitation de produits obtenus directement par le procédé objet du brevet ;
|
– |
la complicité desdits actes.
|
p.36Quel(s) que soi(en)t le(s) titulaire(s) de droit(s), chaque inventeur (qui est une personne
physique) dispose, qu’il soit salarié ou non, d’un droit de paternité, c’est-à-dire un droit à être mentionné comme tel dans le brevet ou à s’opposer à cette mention.
Les certificats complémentaires de protection
p.37Dans le domaine du médicament, des « certificats complémentaires de protection »
rallongent la durée de la protection de brevets soumis à une Autorisation de mise sur le marché (AMM).
p.38D’une durée maximum de 5 ans, ces certificats compensent (cinq années en moins) l’interdiction
temporaire de commercialiser les produits avant l’obtention d’une AMM (procédure assez longue). Ils sont soumis au paiement d’une redevance.
Les libertés du public
p.39La logique initiale du brevet est claire : « libre accès intellectuel contre accès
économique réservé ». Ainsi, la base même de la reconnaissance d’un monopole par la
délivrance d’un brevet est la publication de l’invention. Inversement, le titre sera supprimé si la publication s’avère insuffisante ou si l’homme du métier n’est pas en capacité de reproduire
l’invention. Autre conséquence, les brevets ne peuvent être opposés à des tiers qu’à partir de la publication de la délivrance du brevet ou, lorsque le brevet concerne l’utilisation d’un
micro-organisme, à compter du jour où le micro-organisme est mis à la disposition du public.
p.40En matière de brevet, « l’offre, la mise dans le commerce, l’utilisation, la détention en
vue de l’utilisation ou la mise dans le commerce d’un produit contrefaisant, lorsque ces faits sont commis par une autre personne que le fabricant du produit
contrefaisant, n’engagent la responsabilité de leur auteur que si les faits ont été commis en connaissance de cause ». Fondée sur le constat de la difficulté à connaître ou apprécier les brevets existants, cette règle bénéficie ainsi à toutes les personnes qui utilisent
ou distribuent un produit dès lors qu’elles n’ont pas connaissance d’un brevet qui serait contrefait (solution contraire à la propriété littéraire et artistique où la bonne foi est indifférente,
rendant contrefactrice toute personne qui exploite un droit sans autorisation). Par ailleurs, les législateurs protègent l’intérêt collectif et les libertés des utilisateurs par la mise en place
d’une série de licences :
– |
licences obligatoires, lorsque le brevet n’est pas exploité ;
|
– |
licences d’office dans l’intérêt de la société : santé publique (nationale ou internationale), développement économique et de l’intérêt public, défense nationale ;
|
– |
licences réciproques, en cas de brevets dépendants ou de certificats d’obtentions végétales concurrents.
|
Déclaration de Doha
p.41Les droits de propriété intellectuelle s’ajoutent aux (et maintiennent les) inégalités de fait
entre les pays du Nord industrialisés et les Pays du Sud en voie de développement, les droits de propriété intellectuelle.
p.42Si cela est déjà contestable, la question devient encore plus critique lorsqu’on s’intéresse au
décalage entre les progrès médicaux au nord et les conditions sanitaires au sud. En 2001, des firmes pharmaceutiques ont intenté un procès à Pretoria à l’encontre du gouvernement sud-africain pour
avoir produit des traitements génériques du SIDA sans leur autorisation, ce qui provoqua une indignation internationale qui mena à la déclaration de Doha.
p.43En réaction au procès intenté en 2001 par 39 firmes pharmaceutiques (fortement soutenues par les
États-Unis et l’Union Européenne) contre le gouvernement sud-africain qui avait mis en place une politique facilitant l’accès aux médicaments nécessaires à son peuple (en l’occurrence pour soigner la
maladie du SIDA), les États en voie de développement se sont réunis au sein du cycle de Doha (sous l’égide de l’OMC) pour convenir d’un cadre plus favorable, ce qui s’est matérialisé par la
Déclaration de Doha sur l’Accord ADPIC et la Santé publique. Il s’agissait de clarifier le lien entre les dispositions de l’accord sur les ADPIC qui garantissent le respect des droits de propriété
intellectuelle, et les politiques d’accès aux médicaments (notamment quant au rôle et à l’utilisation d’instruments majeurs tels que les importations parallèles et les licences obligatoires).
p.44Plus d’information :
– |
|
– |
Samb (Falou), « La Déclaration de Doha sur les ADPIC et les médicaments : quelles leçons pour le réexamen de l’accord sur les
ADPIC et le processus de négociations à Genève », dans Melendez-Ortiz (Ricardo) et al. (dir.), Commerce, propriété intellectuelle
et développement durable vus de l’Afrique, actes du Dialogue Régional de Dakar, 30-31 juillet 2002, ICTSD, p. 83-101 ( http://ictsd.org/i/publications/11789/).
|
– |
Potie (Benjamin), La propriété intellectuelle et l’accès des pays pauvres aux médicaments,
mémoire de master dirigé par Gherari Habib, Université Jean Moulin, Lyon, 2008.
|
2.1.2 La délivrance de certificats d’utilité sur des inventions
p.45Le certificat d’utilité est un « petit brevet », accompagnant les inventions plus
faibles qui ne nécessitent pas toute l’étendue de la protection qu’offre le brevet. La qualification (2.1.2.1) est donc calquée sur celle du brevet, mais l’équilibre sous-tendant ce titre est
différent (2.1.2.2).
2.1.2.1 La qualification d’inventions « certifiables »
p.46Pour être certifiable, une invention doit répondre aux mêmes critères qu’en matière de brevet.
Ainsi, seule la procédure simplifiée différencie ces deux titres : comme le brevet, le certificat est délivré par l’INPI et il est même possible de transformer une demande de brevet en
certificat d’utilité (la réciproque étant fausse).
p.47Il faut néanmoins préciser que ce titre n’est pas harmonisé à l’international, ni même en Europe
– les certificats d’utilité français se caractérisent par un enregistrement plus rapide (6 mois contre 2 ans dans le cadre d’un brevet), une durée de vie plus courte (6 ans) et un dépôt moins
cher (car non soumis à un rapport de recherche sur la nouveauté et l’inventivité).
2.1.2.2 L’équilibre du certificat d’utilité
p.48L’équilibre est ici similaire à celui qu’on retrouve en matière de brevet, si ce n’est qu’en
l’absence de rapport de recherche le titre est « plus faible » (ce qui justifie par ailleurs qu’un tel rapport soit demandé en cas d’action en contrefaçon introduite en vertu d’une demande
de certificat d’utilité).
2.2 Le dépôt de topographies de produits semi-conducteurs
p.49Les produits semi-conducteurs (on parle plus couramment de puces, microprocesseurs ou circuits
intégrés) sont très largement utilisés dans les technologies qui nous entourent. Leur conception nécessite une infrastructure et des recherches coûteuses (ce coût tend à baisser) qui les réservent
aux grandes entreprises, mais leur copie est très simple pour celui qui possède l’infrastructure nécessaire (cette dernière pouvant néanmoins présenter un coût de plusieurs milliards). Le législateur
a donc été invité à rechercher une protection autre que le brevet, le droit d’auteur ou le droit des dessins et modèles pour lesquels les conditions (notamment la nouveauté, l’originalité et la
dissociation du fond et de la forme) étaient rarement réunies (et les prérogatives souvent inadaptées).
p.50Premiers producteurs, les États-Unis ont initié, en 1984, la mise en place d’un droit exclusif
sur les topographies de produits semi-conducteur. Poussés par le mécanisme de réciprocité qui conditionne l’accès à cette protection par leur industrie, l’Europe et le Japon instaurèrent une
protection équivalente dès 1986 (fin 1987 pour la France).
p.51La qualification relativement simple (2.2.1) se voit associer un équilibre particulier
(2.2.2.).
2.2.1 La qualification de topographies de produits semi-conducteurs
p.52Protection directement issue d’accords internationaux et motivée par la recherche d’une
protection des investissements industriels, les topographies de produits semi-conducteurs qui traduisent un effort intellectuel du créateur et qui ne sont pas
courantes (dans le secteur des semi-conducteurs) peuvent faire l’objet d’un dépôt.
p.53La notion de topographie englobe la configuration de l’ensemble des circuits (dessin et
disposition des éléments composants le produit), c’est-à-dire les connexions et couches formant les composants intégrés dans une puce ou à sa surface.
p.54Parallèlement, les produits semi-conducteurs peuvent faire l’objet d’un brevet (s’ils répondent
aux critères d’inventivité) ou contenir un logiciel soumis au droit d’auteur (notamment
dans le cas des FPGA, les puces programmables).
2.2.2 L’équilibre du droit des topographies de produits semi-conducteurs
p.55L’équilibre du droit des topographies de produits semi-conducteurs s’apprécie en comparant les
prérogatives du déposant (2.2.2.1) et les libertés reconnues aux utilisateurs (2.2.2.2).
2.2.2.1 Les prérogatives du déposant
p.56Durant les dix années de la protection, le titulaire des droits est le seul à pouvoir reproduire
la topographie protégée (description du produit semi-conducteur par une suite d’images) et exploiter commercialement ou importer à cette fin une telle reproduction ou tout produit semi-conducteur
l’incorporant (prérogatives inspirées de celles du titulaire d’un brevet).
2.2.2.2 Les libertés des utilisateurs
p.57L’interdiction ci-dessus n’est pas opposable à l’acquéreur de bonne foi d’un produit semi-conducteur, même s’il devient redevable d’une juste indemnité (licence obligatoire pour le titulaire)
s’il entend poursuivre l’exploitation commerciale du produit ainsi acquis.
p.58Par ailleurs, le titulaire du titre ne peut néanmoins empêcher la reproduction à des fins
d’évaluation, d’analyse ou d’enseignement (on retrouve ici l’idée du brevet de la non-réservation intellectuelle), ni – c’est là toute l’originalité de ce titre – la création conséquente
d’une topographie distincte pouvant prétendre à la protection au titre des topographies de produit ssemi-conducteurs, ce qui pourrait se rapprocher de la logique de rétro-ingénierie du
logiciel.
2.3 La délivrance de certificats d’obtentions végétales
p.59Le travail de sélectionneur de semences, devenu un métier à part entière au cours du
xviiie siècle, repose sur une matière première particulière : la nature. Ainsi, la loi du 11 juillet 1970 a mis en place une
protection particulière respectueuse du travail de l’agriculteur et attachée à la délivrance d’un titre dédié sur certaines variétés végétales créées ou découvertes – par ailleurs expressément
exclues de la brevetabilité.
p.60La qualification des obtentions végétales (2.3.1) repose sur un équilibre (2.3.2) pour partie
similaire à celui des topographies de produits semi-conducteurs.
2.3.1 La qualification d’obtentions végétales
p.61L’obtention végétale déposée peut être une variété créée ou découverte, mais qui doit
nécessairement faire partie de la liste recensant les différentes variétés végétales susceptibles d’être protégées (toute variété en dehors de cette liste est protégée, le cas échéant, par
brevet).
p.62Ainsi, sont susceptibles de protection par la remise d’un certificat d’obtention végétale
français, les variétés nouvelles, créées ou découvertes, qui présentent les caractéristiques de distinctivité, d’homogénéité et de stabilité :
– |
la nouveauté est retenue dès lors que la création n’était pas disponible au public ;
|
– |
la condition de distinctivité est retenue si la variété se différencie des variétés analogues déjà connues par un caractère
important, précis et peu fluctuant (ou par plusieurs caractères dont la combinaison est de nature à lui donner la qualité de variété nouvelle) ;
|
– |
la condition d’homogénéité implique que les différents plants de la variété présentent les mêmes caractères entre eux (condition
remplie dès lors que ceux-ci présentent les caractères communs énoncés à la définition de la variété) ;
|
– |
la stabilité (lors de la multiplication) implique que quel que soit le nombre de reproductions ou de multiplications, les
caractères essentiels de la variété initiale se retrouvent dans tous les exemplaires.
|
p.63Dans l’hypothèse où ces conditions de fond ne sont pas respectées, le certificat d’obtention
végétale encourt la nullité totale du titre puisque la variété constitue un tout indivisible.
Le dépôt des obtentions végétales
p.64Le certificat d’obtention végétale doit être demandé auprès du Comité pour la protection des
obtentions végétales (CPOV), ou de l’Office communautaire des variétés végétales (
OCVV) installé à Angers qui octroie des titres
communautaires.
p.65La Protection des obtentions végétales relève en France du CPOV qui confie au Groupe d’étude et
de contrôle des variétés et des semences (GEVES) la réalisation des études techniques nécessaires. Le CPOV est l’équivalent de l’INPI : placé auprès du ministre de l’Agriculture, il délivre les
certificats d’obtention végétale (COV).
p.66Ces comités ont pour mission d’assurer 1) la délivrance des certificats d’obtention végétale
correspondant aux variétés qui satisfont aux exigences de la loi, ainsi que la délivrance de tous documents officiels concernant les demandes ou les certificats ; 2) la constatation de la
déchéance du droit de l’obtenteur dans les conditions prévues par la loi.
p.67Le comité est en outre chargé de proposer au ministère de l’Agriculture toutes les mesures
nécessaires à la mise en œuvre de la protection des obtentions végétales. Enfin, toutes les informations relatives à l’instruction des demandes et à la délivrance des certificats d’obtention végétale
sont publiées dans le bulletin officiel de la protection des obtentions végétales.
2.3.2 L’équilibre du certificat d’obtention végétale
p.68L’équilibre du certificat d’obtention végétale s’apprécie au regard des prérogatives du
déposant (2.3.2.1) et des libertés des utilisateurs (2.3.2.2).
2.3.2.1 Les prérogatives du déposant
p.69Le titulaire du certificat peut contrôler la production, l’importation et la vente de la
variété (en tout ou partie, ainsi que tout élément de sa reproduction). L’exploitation des éléments de reproduction ou de multiplication végétative est aussi l’une des prérogatives du titulaire. La
durée de la protection est de vingt-cinq ans (à l’exception de certaines espèces qui peuvent être protégées jusqu’à trente années) à la condition du paiement d’une redevance annuelle.
Le système américain
p.70Aux États-Unis, seuls les brevets permettent de protéger les nouvelles obtentions végétales
(dès 1930 par le plan Patent Act, complété en 1970 par le plan Variety Act qui englobe les variétés se reproduisant par voie sexuée). Les dépôts concernant les autres produits de la nature estèrent
néanmoins rares jusqu’à une décision de la Cour Suprême américaine en faveur de la brevetabilité de souche de micro-organismes génétiquement modifiés.
p.71Souffrant de très peu d’exceptions, la protection américaine est donc différente sur bien des
aspects : il est impossible d’utiliser librement une variété protégée pour en créer une autre ; l’autorisation du titulaire est nécessaire, même lorsque l’utilisation est à titre
expérimental ; interdiction des « semences de ferme » (lorsque l’agriculteur conserve une partie de sa récolte pour les semences suivantes) ; la simple utilisation (même non
commerciale) est soumise à autorisation du titulaire du brevet.
2.3.2.2 Les libertés des utilisateurs
p.72Le droit des obtentions végétales est, dès l’origine, conçu avec l’idée d’une certaine liberté,
un système de licences automatiques permettant que les dérivations des obtentions végétales déposées ne soient pas soumises au monopole du titulaire dès lors qu’elles font elles-mêmes l’objet d’un
autre dépôt (et qu’elles répondent donc aux critères précités). On parle de la règle du privilège de l’obtenteur.
p.73Il existe ensuite quelques licences qui sont du ressort de l’État (pour des raisons de santé
publique, en cas de variété indispensable à la vie humaine ou animale, pour les besoins de la défense nationale).
p.74Enfin, en cas d’invention assurant un progrès technique
important et présentant un intérêt économique considérable, il est possible pour le titulaire du brevet de se faire accorder par jugement la concession
d’une licence d’exploitation sur l’obtention végétale.
2.4 Le dépôt de signes distinctifs
p.75Les droits sur les signes distinctifs sont des protections très prisées en raison de leur
proximité avec les consommateurs. Ils peuvent prendre la forme de protections individuelles (2.4.1) ou collectives (2.4.2).
2.4.1 La marque, protection individuelle de prédilection
p.76Cette pratique est très ancienne et les artisans gaulois, déjà, avaient pour habitude de
marquer leur produit afin de suivre leur circulation. La protection juridique n’est cependant née que plus tard, au Moyen Âge, par des édits royaux qui prévoyaient une peine sévère en cas
d’usurpation de marque. Son abolition lors de la Révolution fut source d’une telle insécurité commerciale que, très vite, de nouvelles lois furent édictées.
p.77En effet, en matière de marques, il ne s’agit pas de favoriser une quelconque innovation, ni
même un investissement supposé, mais de réguler un marché qui, sans quelques normes interdisant les pratiques déloyales, pourrait voir apparaître certains comportements néfastes pour les
consommateurs et l’industrie de manière générale. La marque a donc une fonction double : fonction technique d’identification des produits, et fonction économique de développement et de
valorisation de l’image d’un projet ou d’une structure. Enfin, ce droit porte sur un nouveau signe (ou l’association d’un nouveau sens à un signe existant), ainsi le préjudice subi par la société est
moindre ce qui explique que le monopole du titulaire de droit souffre de très peu d’exceptions.
p.78À condition de remplir les critères fixés par la loi, certains signes peuvent donc être déposés
en tant que marque (2.4.1.1), conférant à leur titulaire un monopole équilibré (2.4.1.2).
2.4.1.1 Qualification de signe distinctif au titre du droit des marques
p.79Comme tout droit de propriété industrielle,
l’enregistrement de la marque auprès de l’INPI (ou de l’OHMI en cas de dépôt communautaire) est constitutif du droit sur le signe – à l’égard des produits ou services identifiés lors du
dépôt.
p.80Définie largement, la marque est donc un signe susceptible de
représentation graphique, ce qui comprend notamment les marques figuratives (une image, un logo), verbales (un ou plusieurs mots, combinaison de mots ou chiffres), semi-figuratives
(généralement un mot stylisé), sonores, voire de couleur (exceptionnellement, lorsque cette couleur est suffisamment distinctive dans l’esprit du public – en raison d’une importante promotion ou
d’une longue utilisation). Véritable outil de marketing par son aspect identitaire, la marque peut donc revêtir plusieurs formes sans qu’aucune originalité ne soit requise – même si celle-ci est
généralement présente. Néanmoins, le droit des marques ne porte ni sur le signe lui-même,
ni sur les services ou produits considérés, mais sur le lien entre le signe et les produits ou services désignés lors du dépôt.
p.81Les articles L711-1 et suivants du CPI imposent un certain nombre de critères positifs et négatifs qui conditionnent l’enregistrement et, à postériori, la validité d’une marque.
Néanmoins, la doctrine et la jurisprudence considèrent aujourd’hui que seul le critère de distinctivité est véritablement nécessaire : il faut que les consommateurs n’établissent pas déjà un rapport entre le signe et les produits ou services marqués. Ce rapport doit
justement être le fruit de l’activité et des investissements du titulaire de la marque. Ainsi les marques Blanc pour du lait ou Bois pour des meubles en bois ne seraient pas acceptées alors qu’elles pourraient l’être pour d’autres produits ou services (comme des ordinateurs).
p.82Par ailleurs, la marque ne doit pas être déceptive, c’est-à-dire laisser entendre des qualités
que les produits ou services de cette marque ne posséderaient pas.
p.83De nombreuses marques composent notre quotidien : qu’il s’agisse de sons (le cri de
Tarzan, la sonnerie de Nokia ou de Bouygues Telecom), couleurs (le orange Kodak, le orange
de France Telecom et le magenta de T-Mobile- Deutsche Telekom), de nombres (1664), de logos voire de signe en trois dimensions (comme la forme des bouteilles de Coca Cola ou le losange de
Renault).
Exemple d’une marque animée
p.84Description de la marque Coca-Cola.
p.85La marque commence par l’image animée d’un flash de lumière à partir duquel sont émis des
éclairs sur fond de ciel et de nuages. La séquence passe alors en plan panoramique sur une torche tenue par une femme sur un piédestal. Le mot « Columbia » s’inscrit en haut de l’image en
traversant la torche puis un arc-en-ciel circulaire apparaît dans le ciel autour de la femme.
2.4.1.2 Équilibre du droit des marques
p.86L’équilibre du droit des marques repose sur des prérogatives fortes pour le déposant
(2.4.1.2.a) et des libertés assez grandes pour les utilisateurs dudit signe (2.4.2.1.b).
Les prérogatives du déposant
p.87Le titulaire d’une marque est son déposant (non celui qui donne l’idée !) et son monopole est valable dix ans, indéfiniment renouvelable (tant que la marque ne devient pas
générique).
p.88Valables uniquement à l’encontre des actes effectués dans la « vie des affaires »,
les prérogatives du titulaire d’une marque varient selon qu’il y a risque de confusion ou non.
p.89Ainsi, il peut systématiquement interdire, pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l’enregistrement : la
reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque, même avec l’adjonction de mots, ainsi que l’usage d’une marque reproduite ; la suppression ou la modification d’une marque régulièrement
apposée.
p.90Au surplus, et uniquement en cas de risque de confusion
dans l’esprit du public et pour des produits ou services similaires à ceux désignés dans l’enregistrement, il peut interdire : la reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque, ainsi que l’usage d’une marque reproduite ;
l’imitation d’une marque et l’usage d’une marque imitée. La substitution de produit est en principe interdite, sauf pour remplacer un produit marqué prescrit par un médecin par un produit
générique.
p.91Par exception au principe, une protection élargie est reconnue aux marques dites notoires : sorte d’ « armes anti-parasitisme », elles permettent, sans dépôt, de limiter des exploitations susceptibles de générer une confusion
vis-à-vis des produits ou services qu’elles désignent (seraient par exemple concernées des marques comme Coca Cola, Danone, McDonald, Google, Microsoft,
etc.).
p.92Enfin, la marque a une double fonction (on parle d’objet spécifique) :
– |
réservation de l’usage du signe pour la première mise en circulation : l’objet spécifique du droit des marques comporte les prérogatives qui permettent au
titulaire de bénéficier du droit exclusif d’utiliser la marque, pour la première mise en circulation d’un produit consentie, et ainsi d’être protégé contre les concurrents qui voudraient abuser de la position et de la réputation de la marque
en vendant des produits indûment pourvus de cette marque ;
|
– |
garantie d’identité d’origine : la fonction de garantie d’identité d’origine repose sur l’idée que la marque établit une relation de confiance entre le
consommateur et le titulaire de la marque qui justifie qu’en cas d’altération ou de modification le titulaire puisse interdire toute autre mise sur le marché non expressément autorisée.
|
Les libertés des utilisateurs
p.93En application du principe dit de spécialité et
exception faite des marques notoires, l’usage du droit est limité aux seuls produits et services indiqués lors du dépôt.
p.94Par ailleurs le monopole du titulaire d’une marque est réduit dans plusieurs hypothèses
exposées ci-après : la perte du caractère distinctif de la marque ; la forclusion par tolérance ; la référence nécessaire ; l’existence d’autres droits et l’épuisement du droit
des marques.
p.95La perte du caractère distinctif : si un produit ou
un service s’impose, il peut arriver que la marque devienne générique, c’est-à-dire qu’elle est utilisée comme la dénomination usuelle du produit ou service – comme Frigidaire pour les réfrigérateurs, mais la liste est longue. Perdant son caractère distinctif, la marque ne permettra plus à son titulaire de s’opposer à son utilisation
par quiconque (raison pour laquelle les sociétés interviennent fréquemment pour interdire l’utilisation abusive de leurs marques).
p.96La forclusion par tolérance : selon cette
hypothèse, « devient irrecevable toute action en contrefaçon d’une marque postérieure enregistrée dont l’usage a été toléré pendant cinq ans, à moins que son dépôt n’ait été effectué de mauvaise
foi – cela pour les seuls produits et services pour lesquels l’usage a été
toléré ». Il faut donc être vigilant (surtout en cas de diffusion sous licence libre,
cf. infra), à être clair et précis sur les usages de la marque qui sont autorisés et ceux qui ne le sont pas.
p.97La référence nécessaire : il est possible
d’utiliser la marque pour faire référence au produit ou service du titulaire de la marque dès lors que cette utilisation permet d’indiquer la destination d’un produit ou service (vente de pièces
détachées, installation d’un système d’exploitation, etc.) et qu’il n’y a pas de confusion
– en précisant par exemple le dépôt de la marque et ainsi que son titulaire.
p.98Ainsi, il a été jugé que le droit conféré par la marque n’autorise pas son titulaire à
interdire l’usage de ce signe dans son acception courante, dès lors qu’il n’est pas utilisé à titre de marque, et que l’usage qui en est fait est conforme aux usages loyaux du commerce. De la même façon, il a été jugé que la reprise du signe ne porte pas atteinte à la fonction de la
marque s’il sert seulement à individualiser l’œuvre sans être de nature à induire en erreur le public. Enfin, ne constitue pas un usage illicite la confection par un distributeur d’un signe
reproduisant la marque protégée lorsque ce dernier est destiné à la désignation de produits authentiques commercialisés dans les conditions normales, le distributeur bénéficiant de l’autorisation
implicite du fabricant. L’usage d’une marque pour informer le consommateur que l’annonceur est spécialisé dans la vente ou dans l’entretien des produits revêtus de cette marque constitue ainsi un
usage indiquant la destination d’un produit ou d’un service.
p.99L’existence d’autres droits : le droit des marques
ne pourra permettre à son titulaire de s’opposer à l’usage d’une dénomination sociale, nom commercial ou enseigne, lorsque cette utilisation est soit antérieure à
l’enregistrement, soit le fait d’un tiers de bonne foi employant son nom patronymique.
p.100Épuisement du droit des marques : le droit des marques est le droit le plus concerné par l’épuisement : ainsi
tout acheteur d’un produit marqué licite peut parfaitement le revendre sur le même territoire. En principe, si un tiers détient des produits à la vente qu’il a acquis licitement sur le territoire communautaire (ou sur le territoire français si la marque n’a été
enregistrée qu’en France), il peut utiliser le signe pour annoncer les produits ou les services qu’il propose.
p.101Ainsi, l’application de la théorie de l’épuisement traduit une politique commerciale. Le
Japon, et auparavant l’Allemagne et l’Autriche, ont ainsi privilégié l’épuisement international, considérant probablement que leur industrie pouvait faire face, sur ses produits et services, à une
concurrence internationale.
2.4.2 Les protections collectives d’un signe distinctif, les marques collectives et appellations d’origine
p.102Peu utilisées en pratique, ces protections permettent la protection collective d’un signe au
profit d’un nombre limité ou non de personnes. Il s’agit des marques collectives (2.4.2.1) et des appellations d’origine (2.4.2.2).
2.4.2.1 Les marques collectives
p.103Selon l’article L715-1 CPI, la marque est dite collective lorsqu’elle peut être exploitée
par toute personne respectant un règlement d’usage établi par le titulaire de l’enregistrement. Le règlement peut traduire tout type d’usages (aussi en terme de qualité, etc.) et doit être élaboré et
validé en concertation avec des diverses parties intéressées. La marque peut être
simple ou de certification.
p.104La marque collective simple peut être déposée par une personne morale de droit public, un
syndicat, une association, un groupement de producteurs, voire par une personne physique (les entreprises sont donc exclues, mais il leur est tout à fait possible de se constituer en association
loi 1901). Elle lui confère un titre qui lui permet d’agir en contrefaçon contre tout usage non autorisé de sa marque. Le déposant doit rédiger un règlement d’usages qui lui permet de limiter a
priori les personnes bénéficiaires de la marque, mais sans processus de contrôle à postériori.
p.105La marque collective de certification est appliquée au
produit ou au service qui présente notamment quant à sa nature, ses propriétés ou ses qualités, des caractères précisés dans son règlement. Elle doit être déposée par un organisme
certificateur, c’est-à-dire un organisme neutre créé pour cette marque et déclaré au
ministère de l’Industrie et à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Celui-ci établit un règlement d’usage et contrôle son respect de manière à n’autoriser l’usage de la marque qu’aux seules personnes qui fournissent des
produits ou des services répondant aux conditions imposées.
p.106Ces marques peuvent aussi être déposées au niveau communautaire.
2.4.2.2 Les appellations d’origine
p.107Les appellations d’origine ne sont pas réellement des titres de propriété industrielle et
leur bénéfice est plus restreint puisqu’elles ne concernent que la dénomination d’un pays, d’une région ou d’une localité servant à désigner un produit qui en est originaire et dont la qualité ou les
caractères sont dus au milieu géographique, comprenant des facteurs naturels et des facteurs humains. Les appellations d’origine représentent un titre d’origine géographique des produits, mais
garantissent également la qualité de ceux-ci. Elles ont vocation à faire connaître aux consommateurs l’existence d’un rapport intime entre le produit et le terroir qui l’a vu naître.
p.108Elles aussi peuvent être simples ou d’origine
contrôlée (uniquement en faveur de produits agricoles ou alimentaires). L’appellation d’origine simple est acquise par procédure judiciaire ou administrative : la procédure judiciaire
concerne l’hypothèse où une personne intente une action au motif que l’appellation est appliquée de manière préjudiciable, le juge prenant alors une décision qui s’imposera à tous – concernant
l’aire géographique, la qualité ou le caractère des produits ; la procédure
administrative repose sur un décret en Conseil d’État sur la base des usages locaux, loyaux et constants qui ressortent d’une enquête publique.
p.109Une protection internationale, sur le fondement de l’arrangement de Lisbonne de 1958,
protège (sur le territoire des États membres) les appellations d’origine qui ont été enregistrées auprès du bureau international de la propriété intellectuelle. Exemples : Porto, Médoc,
Bourgogne, etc.
Les indications de provenance
p.110Liées à leur usage, elles permettent l’identification du lieu de production ou de création
du produit.
p.111Exemples : fraise de Plougastel, articles de Paris.
2.5 Le dépôt de dessins et modèles
p.112La qualification de dessins ou modèles protégeables impose la réunion de certains critères
(2.5.1) et induit des prérogatives intégrées dans un équilibre propre au droit des dessins et modèles (2.5.2).
2.5.1 La qualification de dessin ou modèle
p.113La protection des dessins et modèles porte sur l’apparence
d’un produit, sur l’ensemble ou une partie seulement d’un produit (lignes, contours, couleurs, textures, etc.) ou de ses ornementations.
p.114Pour être protégés, les dessins et modèles doivent être nouveaux et revêtir un caractère
propre :
– |
la nouveauté s’interprète moins strictement qu’en matière de brevet et il est possible, dans le cas de la divulgation par le
créateur, qu’il dépose son dessin ou modèle, à condition qu’il le fasse dans les douze mois suivant la divulgation ;
|
– |
l’exigence d’un caractère propre signifie que le dessin ou modèle ne doit pas susciter une impression de déjà-vu dans son
ensemble, par rapport à un dessin ou un modèle divulgué avant la date de protection accordée au dépôt.
|
p.115Certains dessins et modèles sont exclus de la protection : s’ils sont contraires à
l’ordre public ou aux bonnes mœurs, s’ils portent sur un programme d’ordinateur, si leur aspect est dicté par des fonctions techniques (aérodynamique, contraintes diverses), si leur forme est imposée
par le besoin d’être associé à un autre produit (compatibilité matérielle). Exemple : des vêtements (robes, t-shirt, etc.), ustensiles (panier à salade, grille-pain), véhicule (voiture, vélo,
etc.).
2.5.2 L’équilibre du droit des dessins et modèles
p.116Les prérogatives du déposant (2.5.2.1) doivent être appréciées au regard des libertés des
utilisateurs (2.5.2.2).
2.5.2.1 Les prérogatives du déposant
p.117Le titulaire de droits peut contrôler la fabrication, l’offre, la mise sur le marché,
l’importation, l’exportation, l’utilisation, ou la détention à ces fins, d’un produit incorporant le dessin ou modèle.
p.118La durée de protection est de cinq ans et elle peut être prorogée par périodes de cinq ans
jusqu’à vingt-cinq ans maximum.
2.5.2.2 Les libertés des utilisateurs
p.119Certains actes échappent au monopole s’ils mentionnent l’enregistrement et le nom du
titulaire des droits, s’ils sont conformes à des pratiques commerciales loyales et s’ils ne portent pas préjudice à l’exploitation normale du dessin ou modèle : il s’agit des actes accomplis à
titre privé et à des fins non commerciales, des actes accomplis à des fins expérimentales, des actes de reproduction à des fins d’illustration ou d’enseignement.
p.120Cette présentation, objective et descriptive, du système juridique qui appréhende la
création et l’innovation met l’accent sur l’équilibre, l’accord social, attaché à la constitution de chaque droit (à sa légitimité). Une telle étude serait néanmoins tout à fait inutile si elle était
détachée de la réalité, c’est-à-dire des usages qui se sont développés sur la base de ce corpus juridique. Ainsi s’aperçoit-on d’une perversion croissante du système au profit de quelques-uns
seulement, ce qui conduit – réciproquement – à la construction d’un nouvel équilibre sur la base des licences libres, plus en phase avec l’objet culturel et sociétal que sont la création et
l’innovation à l’ère actuelle.