p.1Les enjeux devenant de plus en plus économiques – les études récentes attribuent à l’industrie
du seul droit d’auteur une part du PIB allant de 5 à 10 %, selon le pays et l’époque –, le droit d’auteur actuel n’est plus le droit d’auteur « de la grande loi de 1957 », mais un droit qui a intégré les changements de notre société en même
temps qu’il a subi les effets des accords communautaires et internationaux.
p.2Dans ce chapitre, nous étudierons successivement les droits exclusifs relatifs aux œuvres (1.1), aux
créations auxiliaires (1.2), aux mesures techniques (1.3) et aux bases de données (1.4).
1.1 L’œuvre relevant du droit d’auteur
p.3Jusqu’à la Renaissance, les auteurs n’étaient envisagés qu’en tant que maillons d’une chaîne de
créateurs et ils s’accommodaient d’autant plus facilement de l’anonymat que la faiblesse des moyens de diffusion de leurs créations les attachait à un public très limité. L’invention de l’imprimerie
modifia profondément la donne pour les écrivains : il devenait possible de se faire
connaître et de diffuser auprès d’un public beaucoup plus large. Le métier d’imprimeur devint une industrie florissante qui dut très rapidement faire face au développement de la contrefaçon
– nouveau marché motivé par les enjeux financiers du premier. Cette industrie mobilisa ainsi l’attention du pouvoir royal sur l’importance de la reconnaissance d’un monopole d’exploitation qui
leur permettrait de se prémunir contre cette « concurrence déloyale » (elle supportait en effet seule certains coûts préalables à l’impression des ouvrages) : ce fut la consécration
des privilèges consentis aux imprimeurs (libraires) pour compenser leurs investissements. Dès
lors, l’auteur n’était qu’indirectement bénéficiaire de cette protection, grâce à la rémunération qu’il tirait de l’édition de sa création, et n’avait pas de « prérogatives » en tant que
telles.
p.4Parallèlement apparut le concept d’« art » et, avec lui, la distinction entre artiste et
artisan. Il a pris son essor au xviiie siècle, peu de temps avant l’apparition des premières lois consacrant un droit d’auteur. La première réforme en la matière est à l’origine du copyright anglais, le Statute of Anne (en 1710), rapidement suivi par d’autres initiatives similaires dans le monde entier.
p.5Dans cette lignée, mais par opposition au régime antérieur qui profitait essentiellement aux
libraires, le législateur révolutionnaire français consacra un véritable droit de propriété « inviolable et sacré » au profit de l’auteur, comme l’énonce clairement le projet de loi Le
Chapelier : « la plus sacrée, la plus légitime, la plus inattaquable (…) la plus
personnelle de toutes les propriétés (…) l’ouvrage fruit de la pensée d’un écrivain ». Ce droit est néanmoins dès ses origines analysé comme un droit délimité : le droit de l’auteur de
« disposer de l’ouvrage » étant défini comme une « exception, [car] un ouvrage publié est de sa nature une propriété publique ». Ainsi, c’est donc à la double consécration des droits de l’auteur et de ceux du public que procède la loi des 13-19 janvier 1791. L’idée du
juste équilibre qui en découle est au cœur du nouveau système juridique mis en place : il
s’agit de protéger le droit exclusif de l’auteur sur son œuvre tout en en limitant strictement la portée, ceci parce que « l’intérêt public exige aussi, au nom de la diffusion des œuvres, que le
monopole ne soit pas éternel, et que l’œuvre puisse rentrer dans le domaine public. »
p.6L’existence d’une œuvre confère des prérogatives particulières à son auteur (1.1.2) dès lors qu’elle
remplit effectivement les qualités requises par la loi (1.1.1).
1.1.1 La qualification d’œuvre
p.7L’objet du droit d’auteur est l’œuvre, celle-ci étant
entendue comme une création originale. Il suffit donc qu’une idée soit 1) exprimée et 2) originale (empreinte de la personnalité de son auteur) pour que cette forme soit protégée.
1.1.1.1 La création par l’expression
p.8Les idées sont de libre parcours et peuvent être utilisées par tous. Cela ne concerne néanmoins que
les idées : la façon dont celles-ci sont exprimées – leur expression – est personnelle, voire originale. Par conséquent, les droits d’auteur sont susceptible de naître dès la
conception de l’œuvre, même inachevée, sans aucune formalité au fur et à mesure que
l’œuvre est exprimée.
p.9Ainsi, l’auteur ne s’approprie pas les idées – qui sont des biens collectifs –, mais il
apporte sa propre contribution à la communauté en partageant son expression personnelle desdites idées. La divulgation de son œuvre – la divulgation représentant la volonté de rendre publique
son œuvre, c’est elle qui donnera naissance aux prérogatives patrimoniales de l’auteur (à noter qu’avant divulgation de l’œuvre, celle-ci n’est pas encore « dans le commerce » et sa
protection est assurée par le seul droit moral) dès lors que la création est aussi originale.
Un dépôt obligatoire?
p.10Par principe, il n’est pas nécessaire de déposer son œuvre pour bénéficier du monopole que
confère la loi.
p.11En revanche, un tel dépôt facilitera la preuve de la création (et de son antériorité) si
quelqu’un met en doute cette paternité. Cela d’autant plus que la preuve est libre : tout moyen pouvant être accueilli et apprécié par le juge. Il est par exemple tout à fait possible de
s’envoyer un colis scellé en recommandé avec accusé de réception (le cachet de la poste attestant d’une date donnée) ou de s’adjoindre les services d’un tiers de confiance (de la qualité du tiers
dépend celle du dépôt : il peut être utile d’utiliser le mécanisme des enveloppes Soleau auprès de l’Institut Nationale de la Propriété Industrielle (INPI) ou des dispositifs de dépôt comme
l’Agence pour la Protection des Programmes (APP) dans le domaine informatique).
p.12Enfin, de nombreux pays – dont la France – conditionnent à un dépôt légal préalable la publication de certains ouvrages, périodiques, etc. En France, ce dépôt légal concerne les écrits (livres et périodiques) et d’autres types
d’œuvres (gravures, films, enregistrements sonores, émissions de radio et de télévision, logiciels, etc.).
p.13À ce sujet, on peut se reporter à l’article détaillé de Wikipedia : « Dépôt légal en
France ». Voir aussi Larivière (Jules), Principes directeurs pour l’élaboration d’une législation sur le dépôt légal,
édition révisée, augmentée et mise à jour de l’étude publiée en 1981 par Lunn (Jean), Organisation des Nations Unies pour l’éducation,
la science et la culture, 2000.
1.1.1.2 L’originalité dans l’expression
p.14L’originalité de la création, requise par la loi pour que cette dernière soit qualifiée d’œuvre,
n’est néanmoins pas définie expressément. C’est donc aux juges qu’échut le rôle de caractériser l’originalité, ce qu’ils firent au travers de la notion d’empreinte de
la personnalité de l’auteur. Une définition qui rejoint la pensée de grands auteurs : que l’on songe à Émile Zola qui disait qu’« une œuvre d’art est un coin de création vu à travers
un tempérament », ou à Gustave Flaubert qui affirmait « Madame Bovary, c’est
moi ! »
p.15Évitant toute considération artistique ou politique, la qualification sera reconnue quel que
soit le message porté par l’œuvre, la protection concernant « toutes les œuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination ». Avec l’arrivée du logiciel, le critère de l’originalité fut par ailleurs revu à la baisse par les
juges qui fixèrent le critère à la marque d’un apport intellectuel de la part de l’auteur, c’est-à-dire « un effort personnalisé dépassant la logique
automatique et contraignante ».
p.16Enfin, le titre de l’œuvre peut de même être protégé dès lors qu’il répond aussi à la condition
d’originalité, notamment au regard de l’œuvre principale.
1.1.2 L’équilibre du droit d’auteur
p.17La majorité des œuvres partagent des règles communes (1.1.2.1), néanmoins le droit d’auteur
consacre quelques exceptions défavorables aux auteurs, notamment dans le domaine de la fonction publique ainsi que pour les logiciels (1.1.2.2).
1.1.2.1 L’équilibre du droit d’auteur « classique »
p.18L’équilibre du droit d’auteur consacre le monopole de l’auteur (1.1.2.1.a), duquel sont
soustraites les libertés de son public (1.1.2.1.b).
Le monopole de l’auteur
p.19Celui qui revêt la qualité d’auteur bénéficie de diverses prérogatives ainsi que de certaines
dispositions protectrices.
La qualité d’auteur(s)
p.20Le droit d’auteur considère que l’auteur est l’individu-personne
physique qui a créé l’œuvre : le code est très clair lorsqu’il pose comme principe que « [l]’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un
droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous ». Il précise même que
le statut de l’auteur (notamment salarié) est par principe sans conséquence.
p.21En cas de doute, le système privilégie l’auteur puisqu’une présomption de titularité bénéficie à
la personne physique (ou morale) qui divulgue l’œuvre. Mais celle-ci n’est cependant opposable qu’aux tiers, non aux auteurs ou coauteurs qui revendiqueraient leur
paternité.
p.22Enfin, plusieurs auteurs peuvent travailler ensemble pour la réalisation de l’œuvre (œuvre
collective ou de collaboration) et l’œuvre peut être issue d’autres œuvres (œuvre composite ou dérivée). Il n’est
d’ailleurs pas rare que l’œuvre finale combine plusieurs de ces situations (la création pouvant être dérivée d’une œuvre collective, elle-même qualifiée d’œuvre composite, etc.).
p.23On parle d’œuvre de collaboration lorsque plusieurs personnes ont travaillé ensemble à la
conception d’une œuvre commune en faisant toutes preuve d’originalité (elles sont alors propriétaires indivises de l’œuvre) et d’œuvre collective lorsqu’elle est créée à l’initiative et sous la
direction d’une personne physique ou morale, et dont les contributions sont fusionnées et empêchent ainsi l’attribution de droits distincts (seul celui qui dirige l’œuvre est titulaire des
droits). Cette qualification, souverainement réalisée par le juge, est généralement
recherchée par les entreprises puisqu’elle est la seule à leur conférer la qualité d’auteur.
p.24Requérant toutes deux l’autorisation de l’auteur de l’œuvre originaire, l’œuvre composite et
l’œuvre dérivée sont soumises à un régime juridique identique recouvrant des situations similaires : on parle d’œuvre composite lorsqu’il y a incorporation sans modification d’une œuvre
originaire (on peut aussi traduire ce rapport en une dépendance vis-à-vis d’une œuvre
originaire, sans emporter pour autant modification de celle-ci) ; on parle d’œuvre dérivée lorsque l’auteur second crée une nouvelle œuvre en s’appuyant sur la première.
Les œuvres orphelines
p.25La notion d’œuvres orphelines couvre les œuvres abandonnées, perdues ou délaissées par leurs
auteurs : qu’ils ne puissent aujourd’hui plus être contactés ou qu’ils soient simplement inconnus. Elle s’étend à tout titulaire de droits exclusifs dont l’accord est nécessaire pour autoriser
l’exploitation de l’œuvre. Actuellement, l’exploitation sans autorisation fait courir le risque d’une action en contrefaçon (la bonne foi de l’exploitation étant sans effet).
p.26Il existe plusieurs cas de figure :
1. |
l’auteur n’a jamais divulgué son œuvre (elle n’est alors pas dissociable de l’auteur et n’est pas « dans le commerce ») : on parle d’œuvres inédites –
ou non publiées (ainsi que les œuvres pour lesquelles l’auteur aurait usé de son « droit à l’oubli ») ;
|
2. |
l’auteur a publié son œuvre sans pour autant consentir de quelconque licence ou autorisation ;
|
3. |
l’auteur a autorisé à priori un certain nombre d’usages sur son œuvre, mais ceux-ci ne sont plus adaptés à l’évolution de la technique (par exemple pour une diffusion
sur Internet) et il n’est plus possible d’obtenir son accord pour étendre la première cession.
|
p.27Face à ces œuvres orphelines, plusieurs comportements diamétralement opposés peuvent être
adoptés :
1. |
en l’absence d’autorisation expresse de l’auteur, l’œuvre reste inexploitée ;
|
2. |
l’auteur n’étant pas connu, on exploite l’œuvre sans autorisation, à charge de ce dernier de réclamer à postériori une licence d’exploitation (générateur d’insécurité
juridique). C’est ici le comportement de Google.
|
p.28L’accroissement du nombre d’œuvres orphelines est le pendant à l’extension des droits de
propriété intellectuelle (en durée comme objet) et de multiples travaux s’attachent aujourd’hui à lui trouver des solutions législatives. Le Canada a déjà légiféré, tandis que d’autres – à l’instar
de la France, de l’Angleterre, ou plus largement de l’Europe et des États-Unis – réfléchissent aux mesures qui permettraient de réintégrer ces œuvres dans le commerce. Une commission spécialisée du
CSPLA, intitulée «
Exploitation des œuvres orphelines et des éditions épuisées », s’est réunie
d’octobre 2007 à avril 2008 afin de réaliser un travail préliminaire à de potentielles réformes législatives. Le rapport de la commission a été publié le 19 mars 2008, comprenant notamment une annexe
rédigée par Bernard Lang sur «
L’exploitation des oeuvres orphelines dans les secteurs de l’écrit
et de l’image fixe ».
p.29Enfin, une proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur certaines
utilisations autorisées des œuvres orphelines a été publiée le 24 mai 2011. Elle est dédiée aux seules œuvres orphelines (lorsque plus aucun titulaire de droits ne peut être joint) et est soumise à
une recherche diligente, œuvre par œuvre et dans chaque pays. Elle prévoit par ailleurs la possibilité pour l’ayant droit qui réapparaîtrait de revendiquer ses droits afin de percevoir la
rémunération qui lui est due (sauf à ce que l’exploitation ait été faite dans le cadre d’un service public).
Les prérogatives de l’auteur
p.30Les prérogatives que confèrent les droits d’auteur sont extrapatrimoniales ou patrimoniales.
p.31L’auteur dispose de multiples prérogatives extrapatrimoniales regroupées sous la notion de droit moral :
– |
le droit de divulgation (qui permet de décider de la première mise à disposition, publication) ;
|
– |
les droits de repentir et de retrait (qui donnent la faculté discrétionnaire de retirer
de la circulation ou de modifier son œuvre, moyennant indemnisation pour tout préjudice causé et l’obligation de proposer cette œuvre de préférence à l’ancien cessionnaire si l’œuvre est réintroduite
sur le marché) ;
|
– |
le droit à la paternité (droit au respect de son nom et de sa qualité) ;
|
– |
et le droit au respect de l’œuvre.
|
p.32Ces droits sont inaliénables (il n’est pas possible d’y
renoncer ou de les céder), perpétuels et imprescriptibles (on ne les perd pas par le non-usage). Ils sont transmis aux
héritiers de l’auteur ou par testament.
p.33Par ailleurs, durant les 70 ans qui suivent le premier janvier qui suit la mort de
l’auteur, le titulaire de droit est le seul à pouvoir « exploiter » l’œuvre sur
la base de prérogatives dites patrimoniales qui s’étendent à toute communication directe ou indirecte de l’œuvre au public :
– |
le droit de reproduction concerne la fixation matérielle de l’œuvre sur un support par tous les procédés qui permettent de la
communiquer au public de manière indirecte (impression, enregistrement, copie, etc.) ;
|
– |
le droit de représentation concerne la communication directe de l’œuvre au public par un procédé quelconque (récitation ou
exécution publique, représentation dramatique, télédiffusion, etc.) ;
|
– |
droit de suite : apparu il y a moins d’un siècle, ce droit inaliénable permet aux auteurs d’œuvres graphiques et plastiques
de percevoir une partie du produit de la vente ultérieure de leurs œuvres aux enchères publiques ou par l’intermédiaire d’un commerçant. Une harmonisation communautaire a récemment étendu celui-ci à l’échelle des États membres de l’Union européenne ou partie à l’accord sur l’espace
économique européen.
|
Droit d’auteur et copyright
p.34Dans les pays anglo-saxons, un système similaire existe sous le nom de copyright (quoique proches, les régimes diffèrent légèrement selon les pays d’origine : États-Unis, Australie, Angleterre, etc.).
p.35Conceptuellement différentes, les législations anglo-saxonnes et latines se rejoignent
progressivement par l’effet de traités internationaux et par le mécanisme de mondialisation (le copyright américain s’inspirant du droit d’auteur et réciproquement).
p.36Ainsi, même si le copyright américain ne reconnaît pas expressément de droits moraux à l’auteur,
de nombreuses autres règles viennent limiter les usages qui peuvent être réalisés sur l’œuvre : notamment les règles de common law applicables à la
dénaturation des faits et à la concurrence déloyale, du droit de la diffamation, des dispositions prévenant l’induction en erreur du consommateur (Lantham Act, 15 USC 1125 : « False designations
of origin; false description or representation »).
p.37 Les États-Unis,
membres de la Convention de Berne depuis le 1er mars 1989, assurent aussi à l’auteur le respect de sa paternité. À noter cependant que
l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC, en anglais,
Agreement on Trade-Related Aspects of Intellectual
Property Rights : TRIPS) reprend les stipulations de la Convention de Berne à l’exclusion des éléments relatifs aux droits moraux (voir sur Wikipedia la page consacrée aux « aspects des
droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce »).
L’ordre public de protection favorable à l’auteur
p.38Le droit d’auteur ayant été originellement conçu pour protéger l’auteur-personne physique, les
rédacteurs ont prévu quelques dispositifs d’ordre public (de protection), impératifs et destinés à le protéger contre les tiers ou contre lui-même (en invalidant par exemple tout engagement de l’auteur de renoncer à ses droits).
p.39C’est ainsi que la cession globale des œuvres futures est
nulle et qu’un formalisme contraignant est imposé lors de la cession de droits :
p.40La transmission des droits de l’auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits
cédés fasse l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession et que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la
durée.
p.41 Par ailleurs, la rémunération proportionnelle aux recettes provenant de la vente ou de
l’exploitation est le principe et seuls quelques cas isolés autorisent exceptionnellement
une rémunération forfaitaire (le cessionnaire a enfin une obligation de rendre compte de sa bonne gestion et exploitation des droits cédés).
p.42Ces dispositions étant destinées à la protection de l’auteur, seul ce dernier en bénéficie et
peut opposer une nullité relative tout engagement qui y contreviendrait (dans les cinq ans
à partir du jour où il en a eu connaissance). On parle d’ordre public de protection.
p.43Enfin, le CPI encadre la conclusion de cinq contrats considérés comme étant « à risque » pour l’auteur :
– |
Le contrat d’édition : le consentement personnel et écrit de l’auteur est obligatoire (Art. L132-7). L’auteur peut accorder un droit de préférence à l’éditeur pour l’édition de ses œuvres
futures, de genres nettement déterminés, mais pour un maximum de 5 œuvres ou 5 années. L’éditeur est tenu d’assurer à l’œuvre une exploitation permanente et suivie ainsi qu’une diffusion commerciale,
conformément aux usages de la profession, faute de quoi le contrat prend fin.
|
– |
Le contrat de représentation : il est conclu pour une durée limitée ou pour un nombre déterminé de communications au public
(il peut être général si l’entrepreneur de spectacle peut représenter tout le répertoire d’un organisme). L’interruption des représentations au cours de deux années consécutives y met fin de plein
droit.
|
– |
Le contrat de production audiovisuelle : il emporte la cession des droits patrimoniaux des auteurs au profit du producteur
de l’œuvre audiovisuelle. Néanmoins, cette cession ne concerne pas les droits de l’auteur de la composition musicale (celui-ci étant très souvent adhérent de la SACEM).
|
– |
Le contrat de commande pour la publicité : le contrat conclu entre le producteur et l’auteur emporte cession des droits
d’auteur patrimoniaux au profit du producteur.
|
– |
Le contrat de nantissement (sûreté mobilière) du droit d’exploitation des logiciels : il doit être conclu par écrit et
inscrit sur un registre tenu par l’Institut national de la propriété industrielle (INPI).
|
Les libertés de son public
p.44Les libertés du public sont assurées par un mécanisme d’exceptions, un principe d’épuisement,
une série de licences légales et la consécration d’un domaine public.
Les exceptions au monopole du droit d’auteur
p.45Quelques exceptions permettent de considérer des usages comme étant en dehors du monopole de l’auteur – à la condition néanmoins qu’ils ne portent pas atteinte à
l’exploitation normale de l’œuvre ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur.
p.46Ces premiers usages concernent les actes réalisés dans la sphère privée des utilisateurs :
la représentation dans le cercle de famille (acception large) et la reproduction pour un usage privé (acception stricte).
p.47Les autres exceptions sont en dehors de la sphère privée : les analyses et courtes
citations (dans un certain cadre), les revues de presse (usage réservé à la presse), la reprise des discours publics ou officiels, les catalogues des ventes judiciaires, l’exception pédagogique
(moyennant une compensation financière) dès lors que sont « indiqués clairement le nom de l’auteur et la source » ; la parodie et la caricature dans le respect des lois du genre (ce
qui inclut notamment l'indication de l'origine, de la paternité, etc.).
p.48Diverses exceptions générales complémentaires traduisent la confrontation entre la recherche
d’une protection de l’auteur et d’autres contraintes légales (pour la conservation des documents par les bibliothèques ouvertes au public ; pour la recherche et l’information ; pour les
établissements culturels ; et au bénéfice des personnes handicapées) ou techniques (l’accès au contenu d’une base de données électronique, la reproduction provisoire présentant un caractère
transitoire ou accessoire). Enfin, la loi Droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information (DADVSI, 2006) introduisit une exception pédagogique
– néanmoins très limitée et en pratique peu (voire pas) utilisée (cela en dépit des sommes versées aux sociétés d'auteur conformément aux accords sectoriels conclus depuis 2006).
p.49Il y a quelques années, un débat divisait ceux qui considéraient que cette liste d’exceptions
constituait des droits au profit des utilisateurs et ceux qui n’y voyaient que des exceptions au monopole de l’auteur : un enjeu d’autant plus important que des exceptions ne sont utiles qu’en
matière de défense alors que des droits pourraient être opposés aux auteurs. L’arrêt « Mulholland Drive » est venu clarifier la situation en qualifiant expressément les composantes de cette
liste comme étant des « exceptions au droit d’auteur » : elles ne permettent
donc que de se défendre contre toute accusation de contrefaçon, mais ne servent pas de supports à la revendication de nouveaux droits.
La notion américaine de Fair use
p.50Le copyright ne contient pas de liste limitative d’exceptions comme en matière de droit
d’auteur, mais une notion de fair use.
p.51Ce principe (n’agissant qu’en défense contre une éventuelle action en contrefaçon) permet
l’utilisation d’une œuvre dès lors que cette utilisation ne porte pas atteinte à l’exploitation normale et ne cause pas un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire de droits. C’est un
principe utilisé directement par le juge afin de ne pas retenir la contrefaçon dans certaines circonstances (non limitativement appréciée comme dans le droit d’auteur).
La rémunération pour copie privée
p.52Il s’agit d’une redevance pour copie privée qui touche tous les supports de stockage (CD et DVD
enregistrables, disques durs, mémoires flash, etc.). Une commission a pour charge de la faire évoluer selon les pratiques en vue de compenser la reproduction effectuée au titre de copie privée par
les utilisateurs. Néanmoins, par une décision du 20 septembre 2010, la Commission copie privée indique que dorénavant « tous les supports de stockage externes utilisables directement avec un
ordinateur » seront soumis à rémunération…
p.53Les bénéficiaires sont les auteurs, les artistes-interprètes et les producteurs de phonogrammes
et vidéogrammes – uniquement pour les phonogrammes et vidéogrammes fixés pour la première fois dans un État membre de l’Union européenne. Cette redevance varie selon le type de support (et de la
durée d’enregistrement qu’il permet) et est payée par le fabricant, l’importateur ou la personne qui réalise des acquisitions intracommunautaires. Elle est gérée par les sociétés de gestion collective et est ensuite répartie différemment selon s’il s’agit d’un phonogramme ( aux auteurs, aux artistes-interprètes, aux producteurs), d’un vidéogramme ( aux auteurs, aux artistes-interprètes, aux producteurs), ou d’une œuvre écrite ( aux auteurs ; aux éditeurs).
Les licences légales
p.54Les titulaires de droits sont aussi tributaires de licences légales (gestion collective
obligatoire de leur droit), généralement justifiées par des raisons pratiques (faciliter
l’accès aux œuvres ou pallier la difficulté de contrôler l’usage qui en est fait). Elles font figure d’exceptions au principe et transforment dans certaines hypothèses précises, le monopole de
l’auteur en un simple « droit à rémunération » sans qu’il ne puisse faire valoir son monopole. On connait ainsi en France :
– |
La licence légale relative au prêt en bibliothèque dispose que l’auteur d’un livre (ou d’une œuvre contenue dans celui-ci) ne peut interdire que son œuvre soit prêtée par une bibliothèque accueillant du
public, en contrepartie d’un droit à rémunération supplémentaire. La gestion collective est assurée par la Sofia.
|
– |
La licence légale en matière de reprographie induit que « la publication d’une œuvre emporte cession du droit de
reproduction par reprographie à une société » de gestion collective agréée (telle que le Centre français pour l’exploitation du droit de copie – CFC) – à l’exception des « copies aux fins de vente, de location, de publicité ou de promotion ».
|
– |
La licence légale en matière de retransmission par câble, induit que la retransmission par câble simultanée, intégrale et sans
changement sur le territoire national d’une œuvre télédiffusée à partir d’un État membre de la Communauté européenne ne peut être exercée que par une société de perception et de répartition des
droits.
|
Société de gestion collective ou Société de perception et de redistribution des droits
p.55Les sociétés de gestion collective sont avant tout des sociétés civiles (de droit privé)
soumises à un contrôle (souple) par le gouvernement : la procédure de création des SPRD passant par une transmission des statuts au ministre chargé de la culture.
p.56La loi leur confère notamment la mission de négocier des contrats généraux d’intérêt commun, pour améliorer la diffusion des phonogrammes ou vidéogrammes ou de « promouvoir le progrès technique ou économique ». Une
partie des fonds non redistribués par les SPRD (dits les irrépartissables – par exemple lorsque des sommes perçues ne sont pas reversées en l’absence de convention de réciprocité avec le pays de
l’ayant droits) doit être investie pour aider les artistes et la diversité culturelle. Elles gèrent notamment la redevance pour copie privée et quelques licences légales.
p.57Elles gèrent tout type de droit de propriété intellectuelle et sont généralement sectorisées
(l’une pour les auteurs, l’autre pour les droits voisins des artistes-interprètes, etc.). Elles sont soumises à une obligation de transparence et doivent tenir à la disposition des utilisateurs
éventuels le répertoire complet des auteurs et compositeurs français et étrangers qu’elles représentent.
L’épuisement des droits
p.58La théorie de l’épuisement des droits vient limiter les prérogatives de l’auteur en considérant
que tout titulaire de droits ne peut contrôler la circulation d’un bien sur un territoire donné (en Europe l’épuisement est communautaire) une fois celui-ci commercialisé par ses soins ou avec son autorisation. Ainsi :
p.59[d]ès lors que la première vente d’un ou des exemplaires matériels d’une œuvre a été autorisée
par l’auteur ou ses ayants droit sur le territoire d’un État membre de la Communauté européenne ou d’un autre État parti à l’accord sur l’Espace économique européen, la vente de ces exemplaires de
cette œuvre ne peut plus être interdite dans les États membres de la Communauté européenne et les États partis à l’accord sur l’Espace économique européen.
p.60L’épuisement est une notion attachée au bien physique, la « marchandise » :
l’épuisement d’un droit relatif à une copie vendue dans le territoire de l’Union européenne n’emporte pas l’épuisement à l’égard d’autres copies, pas plus que la détention de cette copie ne confère
le droit de reproduire ou représenter l’œuvre contenue dans ce bien physique.
Le domaine public
p.61Le domaine public regroupe toutes les œuvres qui ne sont plus couvertes par un monopole :
que celui-ci soit éteint, ou qu’il n’existe pas en raison du statut de l’œuvre.
– |
Les œuvres pour lesquelles le délai de protection s’est écoulé – on dit qu’elles sont tombées, élevées ou (r)entrées dans le domaine public – peuvent être
utilisées sans qu’une autorisation soit nécessaire (sous réserve du respect des droits moraux) ;
|
– |
Les œuvres tombées dans le domaine public dans un pays étranger dès lors que les œuvres ont été initialement divulguées (première communication au public) dans
celui-ci ;
|
– |
Pour répondre au principe selon lequel « nul n’est censé s’approprier la loi », certaines œuvres ne sont pas soumises à de quelconques droits
exclusifs : lois, discours, jurisprudence, etc.
|
– |
Certaines créations liées à la culture d’une société, généralement regroupées sous le terme de folklore ne sont généralement pas
appropriables (bien que certains considèrent au contraire qu’une telle appropriation
devrait être possible au bénéfice seulement des peuples autochtones).
|
La validité d’une mise dans le domaine public volontaire
p.62Aucun texte et aucune jurisprudence ne permettent à ce jour de donner de réponse certaine à la
question de la validité d’un tel « domaine public » consenti. Néanmoins, plusieurs arguments rendent critiquable la validité d’une mise volontaire dans le domaine public d’une œuvre par son
auteur.
1. |
Le parallélisme des formes (c’est la loi qui fixe les conditions d’accès à ces protections, mais aussi de terminaison) : les droits naissent par simple effet de
la loi dès qu’il y a création originale et s’éteignent 70 ans après le 1er janvier qui suit la mort de l’auteur ;
|
2. |
la validité juridique d’un tel acte (engagement unilatéral de volonté) est très fortement remise en question en droit français (il pourrait donc être révoqué à tout
moment par l’auteur…) ;
|
3. |
même dans l’hypothèse favorable qui accueillerait cette renonciation aux droits, le formalisme exigé (le droit civil demande un acte authentique pour ce type d’acte)
ne serait manifestement pas respecté.
|
p.63Il semble donc préférable d’encourager le remplacement de ces renonciations par l’usage de
licences du type BSD (Berkeley Software Distribution), MIT (Massachusetts Institute of Technology) ou Creative Commons-0 qui organisent une cession très large des droits patrimoniaux (c’est ce que
font des projets comme la communauté Debian à l’origine du système d’exploitation Debian GNU-Linux).Par ailleurs, ces considérations n’auraient bien sûr d’effets qu’à l’égard des droits patrimoniaux
(attachés à l’exploitation de l’œuvre) et resteraient sans effet vis-à-vis des droits moraux.
1.1.2.2 L’équilibre du droit d’auteur pour les cas particuliers
p.64Même si elles reposent toutes sur le droit d’auteur classique tel qu’il vient d’être exposé,
plusieurs situations emportent des conséquences particulières : le cas de l’œuvre logicielle (1.1.2.2.a), celui de l’œuvre d’un agent public (1.1.2.2.b) ou d’un journaliste (1.1.2.2.c), et celui
des œuvres audiovisuelles et radiophoniques (1.1.2.2.d).
L’œuvre logicielle
p.65En matière de logiciels, le législateur s’est initialement interrogé sur la pertinence d’une
protection légale (face à l’usage du secret industriel). Certains y voyant une forme d’expression de son auteur. La loi du 3 juillet 1985 a tranché en ajoutant expressément le logiciel comme une
œuvre couverte par le monopole d’exploitation de son auteur. Le logiciel reste néanmoins une œuvre particulière puisque tant le monopole de l’auteur que les libertés des utilisateurs diffèrent.
p.66Conformément au principe, le seul titulaire de droit d’auteur sur un logiciel est l’auteur
(individu-personne physique), mais le CPI prévoit un système dérogatoire au droit commun lorsque celui-ci est un salarié (du secteur privé ou public). Il y
alors deux effets notables (sauf stipulation contraire plus favorable au salarié) : une dévolution automatique des droits patrimoniaux à
l’employeur dès lors que le salarié a créé le logiciel « dans l’exercice de ses
fonctions ou d’après les instructions de son employeur » et un « affaiblissement » des droits moraux du salarié qui ne peut s’opposer à une modification sur son logiciel.
p.67Concernant l’exploitation de son logiciel, le monopole du titulaire de droits s’étend
à :
1. |
la reproduction (qui concerne ntamment le chargement, l’affichage, l’exécution, la transmission ou le stockage) ;
|
2. |
la modification ;
|
3. |
la première mise sur le marché.
|
p.68Les prérogatives morales de l’auteur d’un logiciel se limitent à la mention de sa
paternité et au respect de son honneur et de sa réputation.
p.69Les exceptions classiques au droit d’auteur n’ont pas lieu d’être en matière de logiciel, en
revanche le titulaire de droit sur un logiciel ne peut empêcher :
– |
les actes nécessaires à la correction des erreurs, sauf si l’auteur s’est réservé ce droit ;
|
– |
la copie de sauvegarde ;
|
– |
la rétro-ingénierie (ou reverse engineering) qui consiste en l’étude et l’observation du logiciel pour en déterminer les idées
et principes ;
|
– |
la reproduction nécessaire à assurer l’interopérabilité (uniquement en faveur d’un utilisateur légitime ; si les informations ne sont pas disponibles ; et
pour cette seule finalité d’interopérabilité).
|
Les mesures techniques sur les logiciels
p.70Les mesures techniques utilisées sur un logiciel bénéficient d’une protection spécifique :
« [t]oute publicité ou notice d’utilisation relative aux moyens permettant la suppression ou la neutralisation de tout dispositif technique protégeant un logiciel doit mentionner que
l’utilisation illicite de ces moyens est passible des sanctions prévues en cas de contrefaçon » (Art. L122-6-1 CPI).
L’œuvre d’un agent public
p.71Le droit est bien souvent la hiérarchisation de diverses normes et il a ici été considéré que
la mission de service public (à laquelle contribue l’agent public par son activité) ne pouvait souffrir de la reconnaissance de tels monopoles personnels.
p.72Consacrant une jurisprudence constante du Conseil d’État, la loi DADVSI de 2006 a mis en place
un nouveau cadre juridique venant saisir certaines œuvres de fonctionnaires afin de faciliter la diffusion des informations publiques à la charge des administrations et collectivités. La loi organise
ainsi une cession automatique en faveur de la personne publique qui les emploie :
p.73Dans la mesure strictement nécessaire à l’accomplissement d’une mission de service public, le
droit d’exploitation d’une œuvre créée par un agent de l’État dans l’exercice de ses fonctions ou d’après les instructions reçues est, dès la création, cédé de plein droit à l’État.
p.74La portée de cette loi est néanmoins limitée : seuls sont concernés les fonctionnaires ne
disposant pas d’une liberté de création (donc à l’exclusion des chercheurs et des enseignants) ; et pour la seule exploitation non commerciale de leurs œuvres (la personne publique ne disposant,
dans ce dernier cas, que d’un droit de préférence).
L’œuvre d’un journaliste
p.75Depuis la loi HADOPI du 12 juin 2009, une section 6 « Droit d’exploitation des œuvres des
journalistes » limite les prérogatives des auteurs journalistes : le contrat conclu par un journaliste emporte cession de ces œuvres au profit de son employeur (dans le cadre des images
fixes, seulement si celles-ci ont été commandées par l’entreprise de presse) pour la
période fixée par l’accord d’entreprise ou tout autre accord collectif établi sous le contrôle d’une commission paritaire créée par la loi (qui devra prendre en considération la périodicité du titre
de presse et la nature de son contenu).
p.76La cession des droits est automatique dès que le journaliste est salarié, mais elle ne s’étend
pas aux exploitations hors du titre de presse initial ou d’une famille cohérente de presse.
Œvres audiovisuelles et radiophoniques
p.77La particularité de la situation des œuvres audiovisuelles (Art. L113-7 CPI) et radiophoniques
(Art. L113-8 CPI) n’est pas tant dans les prérogatives ou la dévolution des droits, mais dans l’organisation d’un partage de la qualité d’auteur : le statut induit une présomption d’auteur(s) au
bénéfice de l’auteur du scénario ou de l’adaptation, de l’auteur du texte parlé, de l’auteur des compositions musicales avec ou sans paroles spécialement réalisées pour l’œuvre, du réalisateur,
éventuellement des auteurs de l’œuvre originaire.
1.2 Les créations auxiliaires soumises aux droits voisins
p.78Apparus à l’occasion de la loi Lang de 1985 et confectionnés sur le modèle du droit d’auteur,
les droits voisins englobent tous les auxiliaires de la création qui participent à la communication de l’œuvre au public. Divers et variés, ils recouvrent des acteurs bien distincts : les
artistes-interprètes d’un côté et les industries culturelles de l’autre (producteurs de phonogrammes ou vidéogrammes et entreprises de communication audiovisuelle) – à noter que les éditeurs
n’en font pas partie, mais ils sont fréquemment ayants droit des auteurs qu’ils éditent et peuvent bénéficier de la protection au titre des droits d’auteur lorsqu’ils font eux-mêmes preuve
d’originalité.
p.79Il s’agissait, pour les artistes-interprètes, d’acquérir le contrôle de l’utilisation de leur
prestation et, pour les autres bénéficiaires de droits voisins, d’accompagner l’arrivée de ces nouvelles industries (du disque, de l’audiovisuel, du cinéma, etc.).
p.80Malgré la diversité des qualifications (1.2.1), les droits répondent à un équilibre semblable
(1.2.2).
1.2.1 Les différentes qualifications des droits voisins
p.81Trois types de créations donnent accès aux droits voisins : l’interprétation (1.2.1.1),
les phonogrammes ou vidéogrammes (1.2.1.2), et les programmes (1.2.1.3).
1.2.1.1 L’interprétation des artistes-interprètes
p.82L’artiste-interprète est celui qui interprète, qui exprime une œuvre littéraire ou artistique,
un numéro de variété, de cirque ou de marionnettes. Généralement artiste et salarié, il bénéficie d’un statut hybride faisant appel tant au Code du travail qu’au Code de la propriété
intellectuelle.
p.83On le distingue des artistes de compléments (« les figurants », personnes aisément
remplaçables sans que cela n’influe sur la création) et des techniciens qui
l’accompagnent. Ceux-ci sont généralement rémunérés pour leur prestation sous forme de salaire ou assimilable.
1.2.1.2 Les phonogrammes ou vidéogrammes des producteurs
p.84Le producteur de phonogramme ou de vidéogramme est la personne, physique ou morale, qui a
l’initiative et la responsabilité de la première fixation « d’une séquence de son » ou « d’une séquence d’images sonorisée ou non » et en
assume l’intégralité des risques financiers. Il se distingue ainsi du fabricant de support (qui ne détient aucun droit exclusif).
1.2.1.3 Les programmes des entreprises de communication audiovisuelle
p.85Les entreprises de communication audiovisuelles sont les organismes qui exploitent un service de communication audiovisuelle, quel que soit le régime applicable à ce service, ou, pour faire court : les « chaînes » de télévision ou radio. Elles disposent d’un droit sur leurs
programmes.
1.2.2 L’équilibre commun aux droits voisins
p.86L’équilibre des droits voisins entre le monopole des titulaires de droits voisins (1.2.2.1) et
les libertés de leur public (1.2.2.2).
1.2.2.1 Le monopole des titulaires de droits voisins
p.87Les prérogatives issues des différents droits voisins diffèrent substanciellement :
– |
Les prérogatives patrimoniales des artistes-interprètes leur permettent de contrôler la fixation, la représentation et la communication au public de leur prestation ainsi que toute utilisation séparée du son et de l’image dans l’hypothèse
d’un tel enregistrement. Par ailleurs, seuls les artistes-interprètes disposent de prérogatives morales (inaliénables et imprescriptibles comme en matière de droit d’auteur) sous la forme d’une
reconnaissance d’un droit au respect de son nom, de sa qualité et de son interprétation.
|
– |
L’autorisation du producteur d’un phonogramme ou vidéogramme est requise pour toute reproduction, mise à disposition (par vente, louage ou échange) ou communication
au public dudit phonogramme ou vidéogramme.
|
– |
Enfin, sont soumises à l’autorisation des entreprises de communication audiovisuelle la reproduction de leurs programmes, leur mise à la disposition (par vente,
louage ou échange) ou communication au public s’il y a un droit d’entrée et leur télédiffusion.
|
p.88Concernant la durée de protection, elle était, jusqu’au 12 septembre 2011, de 50 ans à partir
du premier janvier qui suit leur contribution (l’interprétation pour les artistes-interprètes ; la première fixation d’une séquence de son pour les producteurs de phonogrammes ; la première
fixation d’une séquence d’images sonorisée ou non pour les producteurs de vidéogrammes ; la première communication au public des programmes pour des entreprises de communication audiovisuelle).
La durée à néanmoins été portée à 70 ans par la très récente « directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2006/116/CE relative à la durée de protection du droit
d’auteur et de certains droits voisins ».
p.89Enfin, la signature du contrat conclu entre un artiste-interprète et un producteur pour la
réalisation d’une œuvre audiovisuelle vaut autorisation de fixer, reproduire et communiquer au public la prestation de l’artiste-interprète (le producteur sera généralement in fine le seul titulaire de droits). La directive de 2011 insère quelques mesures d’accompagnement en faveur des artistes-interprètes (seulement pour les vingt années
supplémentaires) : la création de clauses d’« exploitation à peine de perte de droits » (use it or lose it) qui, à l’instar du contrat d’édition,
imposent aux producteurs de commercialiser l’enregistrement et un fonds dans lequel les maisons de disques devront verser 20% des revenus générés pendant la période de protection additionnelle aux
musiciens de studio.
1.2.2.2 Les limitations apportées au monopole
p.90Complémentaires, les droits voisins souffrent de leur rapport hiérarchique avec le droit
d’auteur (1.2.2.2.a) et d’une licence légale supplémentaire (1.2.2.2.b) qui les transforment fréquemment en de simples droits à rémunération.
Rapport avec le droit d’auteur
p.91Par principe, les droits voisins ne peuvent être interprétés de manière à porter atteinte au
monopole de l’auteur. Ensuite, les droits voisins sont soumis aux mêmes limitations que le
droit d’auteur :
– |
l’article L211-3 CPI prévoit une liste d’exceptions similaire à celle du droit d’auteur (cf. supra) ;
|
– |
toute vente d’un bien sur lequel porte un droit voisin au sein de la Communauté européenne « épuise » ces droits au sein de cette communauté (Art. L211-6
CPI) ;
|
– |
l’artiste interprète ne peut limiter la retransmission (simultanée intégrale, sans changement et sur le territoire national) par satellite et par câble en cas de
télédiffusion de son interprétation et la reproduction ou communication publique de sa prestation si elle est accessoire à un événement constituant le sujet principal d’une séquence d’une œuvre ou
d’un document audiovisuel.
|
Licence légale supplémentaire : la rémunération équitable
p.92Lorsqu’un phonogramme a été publié à des fins de commerce pour la première fois dans un État
membre de l’Union européenne, l’artiste-interprète et le producteur ne peuvent s’opposer :
1. |
à sa représentation (à l’exception d’une nouvelle interprétation) ;
|
2. |
à sa radiodiffusion (et à sa câblodistribution simultanée et intégrale).
|
p.93En contrepartie, ceux-ci perçoivent une rémunération dite équitable par le biais d’une société de gestion collective dédiée (la Société pour la Perception de la Rémunération Équitable) calculée sous la forme d’une rémunération
proportionnelle aux recettes. Elle est versée à parts égales entre les interprètes et les producteurs de phonogrammes.
1.3 Les mesures techniques de protection et d’information
p.94Innovations issues de l’accord signé à l’OMPI sur les Aspects des droits de propriété
intellectuelle qui touchent au commerce (
ADPIC) de 1996 et de la Directive européenne sur l’harmonisation de certains aspects du
droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (
EUCD) de 2001, les mesures techniques de protection (MTP)
et d’information (MTI) se voient dorénavant protégées dans leur utilisation sur une œuvre lorsqu’elles garantissent l’effectivité des autorisations de droits de propriété littéraire et artistique
(droit d’auteur et droits voisins).
p.95Elles ne s’appliquent pas en matière de logiciels ou de bases de données qui bénéficient de
protections spécifiques. La mesure technique doit remplir certains critères (1.3.1) afin de faire bénéficier d’un équilibre qui lui est propre (1.3.2).
1.3.1 Qualification des mesures techniques de protection et d’information
p.96Seules donnent droit à cette protection les mesures techniques (1.3.1.1) dites efficaces
(1.3.1.2).
1.3.1.1 Une mesure technique
p.97Selon l’article 6.3 de la directive du 22 mai 2001, une mesure technique peut être
p.98[t]oute technologie, dispositif ou composant qui, dans le cadre normal de son fonctionnement,
est destiné à empêcher ou à limiter, en ce qui concerne les œuvres ou autres objets protégés, les actes non autorisés par le titulaire d’un droit d’auteur ou d’un droit voisin du droit d’auteur prévu
par la loi, ou du droit sui generis prévu au chapitre III de la directive 96/9/CE.
p.99Cette mesure n’est néanmoins pas protégée en elle-même, mais dans le cadre de son utilisation
sur une œuvre, c’est-à-dire « destinée à empêcher ou limiter une utilisation non
autorisée ». Par ailleurs, pour qu’une mesure technique puisse prétendre à une protection, il faut donc :
1. |
qu’elle vienne renforcer un droit de propriété intellectuelle ;
|
2. |
qu’elle corresponde à un choix unanime de tous les titulaires de droits ;
|
3. |
qu’elle fasse l’objet de mentions spécifiques calquées sur le formalisme du droit d’auteur ;
|
4. |
qu’elle soit efficace (afin d’éviter que le droit vienne couvrir des mesures de protection qui n’en seraient pas).
|
p.100Enfin, elle doit nécessairement faire l’objet d’une information au consommateur (avec pour
idée de faire jouer la loi du marché, le consommateur sanctionnant lui-même une utilisation abusive des MTP).
p.101Les Mesures d’Information sont des informations signifiantes par elles-mêmes (directement ou
indirectement – par exemple moyennant le recours à un index ou une base de données) et liées à l’œuvre (informations sur l’auteur, l’œuvre et sur sa licence). De même, elles ne sont pas
protégées en tant que telles, mais uniquement en ce qu’elles apparaissent « en relation avec la communication au public de l’objet protégé » et uniquement pour les informations sous forme
électronique.
p.102La loi HADOPI est venue substituer la Haute Autorité
pour la Diffusion des Œuvres et la Protection des droits sur Internet (HADOPI) à l’ancienne Autorité de Régulation des Mesures Techniques (ARMT – cette dernière n’ayant jamais été saisie en un
peu plus de deux années d’existence).
1.3.1.2 Une mesure technique efficace
p.103Seules les mesures techniques « efficaces » peuvent prétendre au bénéfice de la
protection. Le critère est destiné à écarter les mesures techniques triviales qui auraient pour seul objectif l’acquisition d’un nouveau droit exclusif.
p.104Le projet de loi précise ainsi que les mesures techniques sont « réputées efficaces
lorsqu’une utilisation (…) est contrôlée grâce à l’application d’un code d’accès, d’un procédé de protection, tel que le cryptage, le brouillage ou toute autre transformation de l’objet de la
protection, ou d’un mécanisme de contrôle de la copie qui atteint cet objectif de protection. »
Le cas des CSS
p.105Les DVD se préservent de la copie par une protection dite CSS (Content Scrambling System) créée en 1996. En tant que MTP, le CSS est donc juridiquement protégé à condition d’être techniquement efficace – la loi n’a pas pour
vocation de rendre efficace une mesure technique qui ne l’est pas ou qui ne l’est plus.
p.106En l’espèce, il n’est pas certain que l’efficacité de la mesure technique puisse être
démontrée, eu égard à la facilité, l’ancienneté et la grande accessibilité de son contournement. Un jugement finlandais fondé sur la directive EUCD du 22 mai 2001 est venu appuyer cette thèse
(source, et traduction disponibles sur
http://www.turre.com/blog/, billet du 25/05/2007). Il n’y a malheureusement pas de réponse en
France sur la question, l’ARMT qui avait été créée à cette fin n’ayant jamais été officiellement saisie.
1.3.2 L’équilibre au regard de la protection des mesures techniques de protection et d’information
p.107L’équilibre des mesures techniques de protection s’apprécie au regard des prérogatives
offertes par la protection (1.3.2.1) et les libertés conservées par le public (1.3.2.2).
1.3.2.1 Les prérogatives sous forme de sanction des atteintes
p.108Protection destinée à certaines industries (en premier lieu celle du disque), les demandeurs
de l’action sont multiples et disposent de prérogatives différentes. Deux types d’atteintes peuvent être sanctionnées :
1. |
les atteintes indirectes à des protections relatives aux droits des auteurs ou droits voisins (qui concernent par exemple les
logiciels permettant le contournement) : étant des actes d’accompagnement, ils sont envisagés plus sévèrement, car effectués par des professionnels (jusqu’à 6 mois d’emprisonnement et
30 000 euros d’amende) ;
|
2. |
les atteintes directes (contournement, neutralisation, suppression ou modification) sont sanctionnées différemment suivant si
elles sont autonomes (3 750 euros) ou assistées – donc par des utilisateurs finaux (actuellement 750 euros).
|
p.109Les demandeurs à l’action sont les titulaires de droits (ou ayants cause), ainsi que tout
exploitant directement impliqué par la mise en œuvre de la mesure technique (distribution qui peut être définie contractuellement). L’action peut alors être pénale (en contrefaçon) ou civile (en
responsabilité), et des peines complémentaires sont prévues (fermeture totale ou partielle de l’établissement, et diverses confiscations).
p.110Les saisines de l’ARMT (aujourd’hui HADOPI) prévues aux articles L331-5 et suivants
s’avèrent être finalisées, c’est-à-dire que la compétence de l’autorité était conditionnée au type de saisine (recours auprès de l’autorité) :
– |
par un éditeur de logiciels afin d’accéder aux informations essentielles à l’interopérabilité (Art. L331-7 CPI);
|
– |
par des bénéficiaires d’exceptions afin de ne pas en être privés (Art. L331-13 et Art. L331-14 CPI);
|
– |
par une commission parlementaire sur des adaptations de l’encadrement législatif (Art. L331-17 CPI).
|
1.3.2.2 Les libertés des utilisateurs
p.111Par principe, les mesures techniques venant renforcer un droit, elles ne doivent pas étendre
celui-ci – par exemple en supprimant le bénéfice des exceptions. Par ailleurs, les actes réalisés dans le cadre d’une recherche scientifique en cryptographie ou les actes nécessaires à
l’interopérabilité ne peuvent être limités par ces droits. De la même manière, la
suppression ou la modification de mesures techniques à des fins de sécurité informatique reste permise.
p.112Enfin, il semble évident qu’un utilisateur légitime dispose d’un droit d’user de l’œuvre
acquise. C’est ce qui justifie qu’une MTP ne puisse s’opposer au libre usage de l’œuvre
(la lecture d’une œuvre rentre dans le cadre de ce libre usage).
1.4 Les bases de données donnant accès à un droit sui generis
p.113Au surplus de la protection par le droit d’auteur dont bénéficie une base de données qui
traduirait une forme originale, un droit sui generis leur a été consacré par la directive du 11 mars 1996 afin de protéger automatiquement les bases dont la constitution aurait demandé un investissement important.
p.114Il est nécessaire de qualifier les bases de données bénéficiant de ces dispositions (1.4.1)
avant d’examiner l’équilibre qu’elles organisent (1.4.2).
1.4.1 La qualification de base de données au sens de la Directive concernant la protection juridique des bases de
données
p.115Existant uniquement en Europe, ce droit, dit « droit sui generis des bases de données », sert à protéger l’investissement des producteurs de bases de données. Ses visées sont essentiellement économiques et protègent l’investissement de celui qui, en réunissant des informations ou des contenus
– généralement non appropriables – crée de la valeur sans pour autant pouvoir revendiquer un quelconque droit de propriété sur sa base. Il dure quinze années à compter de l’investissement
nécessaire à l’achèvement de la base de données et une nouvelle protection démarre à chaque nouvel investissement substantiel.
p.116Enfin, en cas de litige, c’est au producteur de prouver l’investissement relatif à la conception de la base de données. La CJCUE est venue préciser chaque type
d’investissements à prendre en considération (l’obtention du contenu, sa vérification et sa présentation) ou non (l’investissement nécessaire à la réalisation des données qu’elle contient n’est pas
compris dans celui-ci).
1.4.2 L’équilibre du droit sui generis des bases de données
p.117L’équilibre du droit sui generis s’apprécie en
comparant le monopole du producteur de la base de données (1.4.2.1) et les libertés des utilisateurs (1.4.2.2).
1.4.2.1 Le monopole du producteur de la base de données
p.118Le droit sui generis des bases de données permet aux producteurs d’interdire :
1. |
l’extraction ou la réutilisation d’une partie qualitativement ou quantitativement substantielle du contenu d’une base de données ; ou
|
2. |
« l’extraction ou la réutilisation répétée et systématique de parties qualitativement ou quantitativement non
substantielles du contenu de la base lorsque ces opérations excèdent manifestement les conditions d’utilisation normales de la base de
données. »
|
p.119Le monopole porte sur la base de données (voir sur
les utilisations faites de celle-ci), non pas sur les données elles-mêmes.
1.4.2.2 Les libertés des utilisateurs
p.120Ce droit venant limiter l’utilisation de contenu généralement non sujet à un quelconque
droit exclusif (qu’il s’agisse de données, d’informations non rédigées, etc.), il est lui-même très limité (généralement associé à d’autres mécanismes de protection – droits exclusifs ou
contrat) : seuls les comportements abusifs (par exemple les « aspirations » par un concurrent qui voudrait proposer le même service sans investir lui-même dans la conception d’une
telle base) sont sanctionnables, l’usage normal de la base étant quant à lui en dehors de ce droit (mais l’accès à la base pouvant parfaitement être limité par un contrat qui viendrait encadrer la
réutilisation des données).
p.121Ainsi, sauf à ce que le contenu même de la base de données soit objet d’un autre droit
(droit d’auteur, droits voisins, etc.), l’utilisateur peut parfaitement en disposer sans demander d’autorisation.
p.122Ce droit est un droit essentiellement destiné aux industriels, ceux-ci bénéficiant par
ailleurs d’une série de droits dits « de propriété industrielle ».